C’était le point de départ de la toute première enquête de Splann ! sur la pollution de l’air à l’ammoniac : la Timac Agro, filiale du géant des fertilisants Roullier, a développé en toute discrétion sa fabrication d’engrais azotés, sur le port de Saint-Malo (35). L’entreprise vient d’être condamnée par le tribunal judiciaire de Brest, pôle régional pour les atteintes à l’environnement, le 22 février 2024, pour ses pollutions de l’air et de l’eau répétées en Ille-et-Vilaine et en Tonnay-Charente (17).
À Saint-Malo, les rejets d’ammoniac dans l’air ont été récurrents entre 2018 et 2021, atteignant parfois 10 fois les seuils autorisés. La Timac devra dont verse un total de 127.000 € de dommages et intérêts à quatre associations de défense de l’environnement pour atteinte portée aux intérêts collectifs qu’elles défendent : Eau et rivières de Bretagne, France nature environnement, Bretagne vivante et Nature environnement 17.
Une telle décision aura-t-elle un impact sur la délinquance environnementale de certains industriels ? C’est la question que nous avons posée à Maître Thomas Dubreuil, conseil des associations plaignantes.
Le groupe Roullier, géant de l'agro-industrie, dont la Timac est une filiale, affiche un chiffre d'affaires de 4,1 milliards d'euros. Pensez-vous qu'une condamnation de 127.000 € pèsera sur son comportement ?
Les condamnations environnementales seront toujours faibles par rapport aux bénéfices de ces grands groupes. Mais la somme est plus substantielle que ce qu’on retrouve dans pas mal de dossiers. Pour avoir vu des pollutions de cours d’eau, c’est plutôt 5.000 à 10.000 €. Là, on a quand même 25.000 € par association. En cumulé, ce sont des sommes assez conséquentes.
Ça montre que l’action civile est un outil supplémentaire dans l’arsenal des associations. En général, les associations se cantonnent à un versant pénal en se greffant sur une action mise en mouvement par un procureur qui a décidé de renvoyer une société devant un tribunal correctionnel. Ou alors, elles attaquent sur un versant administratif en contestant des autorisations. Ç’a été un choix des associations de ne pas aller dans le champ du préjudice écologique parce qu’en matière de pollution de l’air les choses sont difficiles à établir. Typiquement, dans un préjudice écologique pour un cours d’eau, vous avez des poissons morts, un taux de pollution qu’on peut évaluer. Dans les pollutions atmosphériques, il y a une dilution massive et un effet de cumul très important. Ça contribue largement à des phénomènes comme les pollutions d’ammoniac sur la Bretagne. Et indirectement à l’eutrophisation des milieux alors que la région est déjà submergée par le problème des nitrates.
Quel message ce jugement envoie-t-il aux industriels ?
Le message envoyé c’est qu’en matière de pollution de l’air, il ne faut pas que les pollueurs se sentent à l’abri du fait de la difficulté de caractérisation d’un préjudice écologique parce que le préjudice associatif peut être réclamé. Là, ce que dit la juridiction de Brest, c’est que ce n’est pas parce que le préjudice écologique a été consacré en 2016 que le préjudice moral des associations n’existe pas. Ce qui est intéressant, c’est que le préjudice écologique vient s’ajouter aux chefs de préjudice déjà existants. Donc ça peut rendre l’addition beaucoup plus salée pour les industriels s’ils s’aventurent à méconnaître la réglementation environnementale.