Violences physiques et sexuelles au Kreisker : après leur témoignage, des victimes reçues à l’Assemblée nationale
Pierre-Yves Bulteau - 28 juin 2025
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Faire une croix sur l’enfance. C’est ce sentiment de vertige qui vient à la lecture des 42 témoignages, reçus par Splann !, suite à la parution de notre alerte, publiée le 13 mai. Autant de mots déposés, ces dernières semaines sur les réseaux sociaux et par courriel, avec « colère » et « soulagement ».
Dans ce genre « d’affaires », on parle d’ordinaire de libération. Avec celle du « Kreisker », on s’inscrit davantage dans le registre de l’irruption. Celle de la parole de dizaines de victimes. Celle, aussi, du nom d’une institution, connue et célébrée bien au-delà du Léon.
De prime abord, cette irruption peut paraître aussi soudaine qu’imprévue. Il n’en est rien. Une enquête comme celle-là est le reflet d’une époque. De ces moments de l’existence, où parler revient à rester debout. A dire « je », pour défendre le « nous ».
Pour témoigner, comme ils l’ont fait, ces dix hommes et femmes ont inévitablement été portés par un contexte : celui de l’affaire Bétharram. Ils et elles ont pu également compter sur l’écoute d’un journaliste : Daniel Lauret. Équation indispensable pour transcender l’envie de vengeance en besoin de justice.
Par cet acte de courage, ces lanceurs d’alerte ont fait plus qu’irruption dans l’espace public. Quelques jours après la publication de notre enquête, les titres de la presse quotidienne régionale ont embrayé en publiant, eux aussi, de nombreux témoignages. Autant de paroles qui ont permis de constituer les bases solides du collectif des victimes de Notre-Dame-du-Kreisker. L’incarnation de cette « période de stress post-traumatique », selon les mots postés le 14 mai par Patrick Paugam.
Une omerta qui s’éternisa des années 1959 à 1990, jusqu’à nos révélations, et qui franchira, ce même 14 mai, les murs de l’établissement privé catholique pour résonner jusqu’à ceux de l’Assemblée nationale, le jour de l’audition de François Bayrou par la commission d’enquête sur les violences dans les établissements scolaires.
Car, si l’on a coutume de dire qu’une actu chasse l’autre, publier une telle enquête ne relève pas du hasard. Mais bien de l’intérêt général et de l’impact recherché sur l’opinion et les décideurs.
Invitée à questionner l’actuel premier ministre, la députée macroniste Graziella Melchior n’ira pas jusqu’à nommer la célèbre institution catholique bretonne. Faisant involontairement écho à ce commentaire, là aussi, posté le 14 mai par Ludovic Jacq : « On a tous mis un mouchoir là-dessus, pendant des années. »
Au bout de 4 heures et 20 minutes d’un interrogatoire, aussi tendu qu’il en effaça la parole des victimes, l’élue du Nord Finistère finira par évoquer « ces insupportables sévices, révélés hier encore » et dira que « notre devoir est de faire en sorte que cela n’intervienne plus jamais ».
Des mots, en résonance avec « cette souffrance qui ne demande qu’à être entendue », comme le résume Al Ain, lui aussi, sur Facebook.
Une manière de peser sur le débat national. Plus encore, de rendre leur voix à Franck Piron – « Ils ont gâché ma vie, de la 6e à la 3e » – ; à Jean-François Tanguy – « J’en garde une énorme rancœur et une grande colère, 50 ans après ».
L’occasion d’écouter, pour de bon, les souvenirs encore présents de Jean-Luc Rouxel : « Il m’arrive de croiser des anciens du Kreisker. Immanquablement, nous évoquons les bons moments mais toujours, TOUJOURS reviennent ces noms… Choquer, Grand G, Rohel… Nous sommes encore là, quand d’autres sont dans le fossé. »
Et, alors qu’un dépôt de plainte est envisagé, le collectif des victimes de Notre-Dame du Kreisker – né des suites de notre enquête -, vient de rejoindre la Conférence des collectifs des victimes en milieu éducatif.
Parce qu’au-delà de vouloir « parler librement et de se sentir entendus », les victimes du « Kreisker » comptent bien faire irruption dans le champ politique et judiciaire. Une ambition qui s’est concrétisée, le 11 juin dernier, lors d’une rencontre informelle entre des représentants des collectifs du Kreisker et du Relecq-Kerhuon et les députés Paul Vannier (LFI) et Violette Spillebout (EPR).
Une audience, relatée lors du 19/20 d’Ici Iroise du 13 juin, dont l’objectif est de faire reconnaître le statut de victimes et voir inscrite, dans la loi, l’imprescriptibilité des violences faites aux enfants. Autant de victoires possibles après des décennies d’omerta.