Derrière le vernis vert de la start up bretonne Ecotree, des plantations pas si écologiques
Faustine Sternberg - 10 février 2025
« Splann ! » dresse un bilan inédit et détaillé de l’artificialisation des sols sur les côtes bretonnes. Notre enquête révèle comment les bétonneuses passent parfois…
Sur le papier, l’entreprise bretonne Ecotree a tout pour plaire : planter des arbres, lutter contre le réchauffement climatique, développer la biodiversité… le tout de manière rentable. « L’écologie peut être un business rentable », affirmait ainsi Pierre-François Dumont Saint Priest, co-fondateur d’Ecotree, dans une interview de Challenges. On signerait presque, comme 80.000 particuliers qui ont acheté un ou plusieurs arbres, peut-être convaincus par la communication de la société proposant de « planter un arbre du souvenir en mémoire d’un proche disparu » ou bien d’offrir « un cadeau de naissance original ».
Créée en 2014, la société possède désormais près de 1.500 ha dont 549 en Bretagne, grâce auxquels elle vend des « solutions fondées sur la nature ». Ecotree vend des arbres aux particuliers, mais possède le foncier et assure la gestion sylvicole. Les propriétaires d’arbres « bénéficient d’un droit sur la récolte [de bois]». En plantant des arbres, la société peut aussi vendre à des entreprises des crédits carbone. Ainsi, une entreprise qui émet des gaz à effet de serre peut lui acheter des unités équivalentes à une tonne de CO2 évitée ou capturée. Ecotree a mis en place sa propre méthode de calcul, adaptée à « une sylviculture mélangée à couvert continu qui évite les coupes rases et privilégie le mélange des essences. » La vente de crédits carbone représente 23 % de son activité.
Parmi les entreprises partenaires des projets d’Ecotree, on trouve, entre autres, Imerys, H&M, Coca Cola, Engie, Société Générale, ou encore BNP Paribas.
Paintitgreen Ecotree – son nom officiel – dont le siège social se situe à Brest, a connu une belle croissance depuis sa création. En 2022, elle lançait sa troisième levée de fonds, et récoltait 12 millions d’euros pour « devenir le premier acteur européen des Solutions Fondées sur la Nature ». La Société Générale, la Financière Fonds Privés et Famae entraient alors à son capital. En 2024, elle emploie 25 personnes et son chiffre d’affaires « devrait atteindre 4,1 millions d’euros ».
L’entreprise de Solutions fondées sur la nature a aussi mis en place des financements participatifs pour « favoriser l’essor de la biodiversité » : remise en état d’une mare forestière, préservation de la biodiversité, restauration de zones humides… La société affirme dans son rapport 2023 qu’elle a créée 39 mares et planté 6.240 m de haies mellifères depuis son lancement.
Une partie des forêts d’Ecotree est possédée par le Groupement Forestier (GF) Promenons-nous dans les bois. Splann ! a été se promener dans certains des bois d’Ecotree.
Les terrains plantés par la société sont difficiles à localiser précisément, aucune adresse ou nom de lieu-dit n’est indiqué sur le site internet, ou dans le rapport annuel de gestion. La carte en ligne ne permet pas non plus de localiser précisément les terrains de la société.
À Louargat, à Lanrivain et Plouguernevel, au Faouët ou à Plouray, les forêts que nous avons vues sont des jeunes plantations en ligne, principalement de résineux. On est bien loin des belles forêts anciennes de feuillus que la société met en avant dans sa communication.
A Louargat (22), sur le Menez Hoguené, un des points culminants de Bretagne, la société a planté principalement des douglas et des épicéas de sitka sur 4,3 ha, au pied du site nommé « la Lande Supplice » et classé Zone naturelle d’intérêt écologique floristique et faunistique (Znieff) de type 1. Ce boisement a peu à voir avec la description du site faite dans un rapport de la MRAE, dans le cadre d’un projet éolien avorté : « Une douzaine d’habitats naturels y sont comptabilisés (dont des chênaies, haies multistrates, pâtures mésophiles). La diversité floristique de l’aire d’étude est conséquente avec près de 150 espèces recensées. L’une d’entre elles présente un statut national « en danger » ».
Du côté du Faouët (56), nous avons pu observer deux forêts plantées de résineux et une forêt plantée en monoculture de peupliers.
Près de Lanrivain, le GF Promenons nous dans les bois possède plusieurs hectares de forêts, plantés d’épicéas de sitka. Selon Arthur*, un gestionnaire forestier avec lequel nous avons observé ces terrains, tous les arbres ont été plantés au même moment et ont donc le même âge. Pour lui, difficile d’imaginer autre chose qu’une gestion purement économique de la forêt avec une coupe rase lorsque les plants arriveront à maturité.
Idem pour Arnaud*, un technicien agroforestier travaillant pour une communauté de communes bretonne concernée par des plantations d’Ecotree. « Ce sont des modes de plantation de résineux en ligne pour une production industrielle. Je ne vois pas comment il pourrait y avoir un autre mode de production derrière, on ne peut pas se permettre de prélever que quelques arbres sur ce type de boisement dense. »
Pourtant, Ecotree affirme « entretenir, développer et créer des massifs forestiers selon les principes d’une sylviculture mélangée à couvert continu qui préserve et enrichit la biodiversité ».
Selon l’association Pro Silva, la sylviculture mélangée à couvert continu (SMCC) consiste en une « gestion à travers laquelle le couvert forestier est maintenu malgré les coupes de bois – qui sont légères mais bien réparties – et qui favorise le mélange d’essences et les structures naturelles de la forêt. » On caractérise aussi cette gestion d’« irrégulière ».
Benoit Meheux, salarié de l’association ProSilva, précise qu’il est compliqué d’évaluer le type de gestion sur une jeune plantation, puisque par définition, il n’y a pas encore de dynamique forestière. En effet, les coupes n’interviendront que dans quelques dizaines d’années. Dans tous les cas, « planter du douglas sur 3 ha n’est peut-être pas la meilleure façon de se mettre au SMCC. L’idéal, dans le cadre d’une plantation, est de favoriser ce qui vient naturellement sur le terrain et de planter en complément et si possible un mélange d’espèces. »
Contactée, Ecotree explique que « lors des coupes et travaux sylvicoles, (…) l’irrégularisation [gestion irrégulière] cassera la structure en ligne. La forêt aux apparences naturelles ne se conçoit ainsi que sur le temps long. »
La note d’information publiée par Ecotree en 2021 indique pourtant que 22 de ses forêts sont en gestion dite de type « régulier » et 24 sont de type « irrégulier ». Dans le cas d’une gestion régulière, les arbres, du même âge, sont coupés au même moment, laissant le sol à nu, portant ainsi un coup à la biodiversité forestière et fragilisant les sols.
Une récente étude citée par Reporterre, montre que planter des arbres n’est pas toujours bénéfique pour la biodiversité, et en particulier quand il s’agit de « créer une forêt de toute pièce ». La conversion de l’habitat, comme la plantation d’un milieu ouvert, aurait selon les chercheurs de l’université étasunienne de Princeton « des conséquences négatives bien plus importantes que les positives ».
Et ceux, d’autant plus si les plantations en question sont des résineux. Celles-ci sont moins riches en biodiversité que des forêts de feuillus et diversifiées. « Il n’y a aucun sous-bois, et les espèces naturelles bretonnes ne se développent pas dans des plantations de résineux », détaille Arnaud*, le technicien agroforestier. En effet, selon le docteur en écologie végétale Bernard Clément, les forêts de résineux, avec leurs aiguilles persistantes, assombrissent le sol, et certaines litières les acidifient.
La plupart des espèces plantées par Ecotree sont des espèces exotiques : sitka, douglas, pin, mélèze, chêne rouge, peuplier… « Les espèces exotiques ne sont pas favorables à la biodiversité, détaille Michel Danais, lui aussi docteur en écologie végétale. Les plantations techniques conventionnelles, avec tous les arbres du même âge, c’est tout le contraire de la biodiversification, des niches écologiques, qui ont besoin d’arbres de différents âges. Plus il y a de vieux arbres dans une forêt, plus il y a de richesse. »
Selon les informations publiées par Ecotree sur son site, en 2021, sur 314 ha de plantation, 210 hectares étaient plantés de conifères ; 30 ha étaient plantés d’un mélange de feuillus et de conifères (sans que l’on sache en quelle proportion) et 73 ha de feuillus. « Ils ne veulent pas mettre en valeur la biodiversité, estime Arnaud*, ce qu’ils font, c’est de la production de bois. »
« Sur une même parcelle, on plante toujours des mélanges d’essences et on mélange toujours des feuillus et des résineux », affirme Baudouin Vercken, cofondateur d’Ecotree et directeur général délégué tout en assumant : « On a beaucoup de résineux. » Et alors que le rapport annuel de la société lui-même indique que de nombreuses parcelles sont plantées d’une seule espèce de résineux : à Loquivy-Plougras, Plouguernevel, Berné, Langoelan, Langonnet, Le Faouet, Melrand…
Le chargé de communication, explique que « dans la majorité des cas, la répartition des essences dans une plantation est la suivante : 70 % en essences objectif, 20 % en essences d’accompagnement, et 10 % en essences (pluriel) de diversité ». Nous avons pu constater que l’essence « de diversité » est souvent le chêne rouge. Variété originaire des États-Unis, celui-ci peut être considéré comme « un concurrent redoutable pour les chênes autochtones », nuisible pour la flore locale et la biodiversité. Dans certains territoires, comme en Haute-Saône ou en Bourgogne, des chantiers sont même financés par les pouvoirs publics pour limiter sa propagation.
Sur les 73 ha plantés en feuillus, on compte 40 ha de chênes plantés dans la forêt de la Trinité-Langonnet (56). À l’origine, le projet d’Ecotree était pourtant bien de planter une majorité de résineux sur ce terrain classé Natura 2000, situé en tête du bassin versant de l’Ellé, au sein d’une zone humide et traversé ou bordé par plusieurs cours d’eau. C’est au terme d’une longue procédure réglementaire que l’entreprise a été contrainte de planter principalement des chênes.
Lorsqu’un groupement forestier souhaite planter des arbres sur des prairies ou terres agricoles, il doit suivre une procédure de demande appelée « au cas par cas », évaluée par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) qui décide si une évaluation environnementale est nécessaire.
Une première demande de plantation est déposée en février 2020 pour « un boisement de terres agricoles délaissées » au lieu dit Kerihuel, à la Trinité-Langonnet. La demande indique un projet de plantation de « thuyas, sitka, aulnes » sur 30 ha, de « douglas et châtaigniers » sur 29 ha et de chênes sur 5 ha.
En mars, la préfecture demande une évaluation environnementale. Ecotree fait une demande de recours, rejetée par la préfecture.
Dans son évaluation, la MRAE observe que la société a volontairement transformé 32 ha de prairie en culture en 2022, « pour surestimer le bénéfice environnemental du projet ». En effet, une prairie permanente est bien plus riche en biodiversité qu’un champ de maïs.
La MRAE s’interroge aussi sur « le caractère optimal du choix du site à une échelle plus large », au regard « de la fonctionnalité écologique des milieux les plus sensibles ».
Finalement, Ecotree propose un nouveau projet de plantation composé principalement de feuillus, et évitant les zones trop humides. Au terme de l’évaluation environnementale, la commune ne s’oppose pas au projet, mais fait de nombreuses prescriptions par arrêté pour limiter son impact sur l’environnement. À terme, la MRAE considère même qu’il faudrait envisager des mesures compensatoires « en cas de constat d’évolution défavorable » dans le suivi de l’évolution du milieu. Ce qui est un comble quand on sait qu’Ecotree compense avec certaines de ses plantations des dégradations de l’environnement d’autres entreprises.
Selon un document que s’est procuré Splann !, elle aurait par exemple réalisé deux plantations en mesures compensatoires de défrichements de la société Imerys sur le site de sa mine d’andalousite à Glomel.
De manière générale, Ecotree a acquis de nombreux terrains riches en biodiversité : selon une de ses publications, elle possède 700 ha en zone Natura 2000 et Znieff. Les zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff) inventorient les espaces naturels, terrestres et marins, remarquables. Les zones Natura 2000 sont classées par l’Union européenne pour leurs forts enjeux écologiques. En les classant, l’objectif est aussi « d’enrayer la perte de la biodiversité sur ses territoires ».
Ecotree nous affirme qu’elle ne crée pas de forêts sur des zones classées et cherche plutôt à préserver ces surfaces. « Seules des parcelles déjà forestières reprises par Ecotree (après coupe rase par l’ancien propriétaire) ont pu faire l’objet de reboisement. Les trois-quarts des zones en question étant des Znieff 2. » Splann ! a pourtant identifié deux plantations nouvelles sur des terrains classés Natura 2000 et notamment sur la zone Natura 2000 de la rivière Ellé. Dans le document d’objectifs (Docob) de ce site Natura 2000, un des principaux enjeux identifiés est la préservation des milieux humides ouverts.
Sur une parcelle de la commune du Faouët, à Trosalaun, Ecotree n’a pas indiqué dans sa demande de plantation que le terrain était en partie classé zone Natura 2000. Ces prairies permanentes situées au bord du ruisseau Stér Laêr sont désormais plantées de peupliers, douglas, séquoia et pins.
Non loin, sur la même commune, Ecotree a demandé à planter des douglas, cédres et chênes rouges sur un terrain à proximité du hameau de Kernou, classé Natura 2000, situé en Znieff 2, et répertorié comme partie intégrante de la trame verte et bleue du schéma régional de cohérence écologique. Dans le dossier, Ecotree n’a cependant pas indiqué que ce terrain était « situé dans ou à proximité d’un site en zone Natura 2000 ». La préfecture n’a pas demandé d’évaluation environnementale. Selon Ecotree, confirmé par Bérangère Fritz, animatrice de la zone Natura 2000, le terrain a été inclus dans la zone Natura 2000 après la demande de plantation.
Cette plantation a reçu des subventions de la région Bretagne, dans le cadre du plan d’aides Breizh forêt Bois. Si la grille de sélection du programme donne la part belle à la prise en compte de l’environnement, la région Bretagne nous précise cependant que : « Le fait d’être situé en zone Natura 2000 n’est pas excluant pour bénéficier d’une aide Breizh Forêt Bois. Si tel était le cas à l’avenir, cela signifie simplement qu’un dialogue serait nécessairement organisé avec le gestionnaire de l’espace Natura 2000, pour évaluer l’impact du projet et les modifications du dossier qui seront nécessaires. »
La région a financé huit dossiers du Groupement Forestier Promenons-nous dans les bois, depuis le début du programme Breizh Forêt Bois. « Concrètement, ces dossiers représentent 89,76 ha de surface de projet et 212.928 € d’aides (paiements effectués ou en cours de paiement) », détaille la région. Ces huit projets se trouvent tous dans le département du Morbihan, sur les communes de Plouray, Le Faouët, Ploërdut, Meslan, Berné et Langonnet.
Roi Morvan Communauté (RMC), située en centre Bretagne est particulièrement concernée par les plantations d’Ecotree. « Pourquoi [planter] autant ici ? s’interroge Jean-Charles Lohé, maire de Locmalo et vice-président en charge de la gestion des ressources en eau de RMC. On vient chez nous comme dans une réserve d’indiens, il ne se passe pas grand-chose alors on va mettre des arbres et décarboner, s’insurge l’élu. Les plantations, c’est facile, mais pour la restructuration de zones humide, le reméandrage [des rivières], là, on manque de moyens. Pour protéger l’environnement, il y a de quoi faire, et autre chose que de planter des hectares de sapins et de peupliers. C’est très simpliste comme vision de la biodiversité et de la compensation. »
Par ailleurs Ecotree a aussi reçu 180.760 € de la région depuis cette date, pour des projets de développement (traduction du site web, création d’un poste de directeur commercial…).
Le soutien de la région n’est pas que financier. Elle a ainsi publié à l’hiver 2024 un reportage de quatre pages sur la société, dans son magazine B, diffusé gratuitement à tous les habitants de la région. Une forme de publicité gratuite qui reprend la communication d’Ecotree, la décrivant comme une société vertueuse, consciente des enjeux environnementaux, et dont le principal objectif est de « protéger les arbres ». La région y précise qu’elle « soutient de longue date Ecotree ».
*Les noms suivis d’un astérisque sont des témoins qui ont souhaité rester anonymes.