La chercheuse Catherine Lavau est arrivée à Rennes il y a trois ans pour intégrer l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset). Après avoir dédié sa carrière à l’étude des mécanismes moléculaires des leucémies chez les nouveaux-nés, les enfants et les adultes pour déboucher à de nouvelles pistes thérapeutiques, elle a aujourd’hui décidé d’en étudier les facteurs initiateurs dans une optique de prévention. Son but : regarder les effets des polluants environnementaux dans le déclenchement des leucémies pédiatriques.
Mon but est de développer des modèles expérimentaux pour étudier l’effet des pesticides, en particulier sur le développement de ces leucémies de l’enfant. Je développe un projet pour étudier, à l’aide d’un modèle de poisson zèbre, l’effet d’agents chimiques sur les stades très précoces du développement des leucémies.
Il faut savoir que les cancers pédiatriques résultent de mutations qui ont lieu pendant la grossesse. Donc, j’ai développé un modèle de poissons permettant de regarder l’effet de molécules chimiques sur les stades embryonnaires du poisson pour voir comment, au cours de la vie du poisson jusqu’à l’âge adulte, ça peut induire des proliférations ultérieures des cellules du sang. Les poissons sont des modèles utilisés de nombreuses années pour modéliser des leucémies.
L’hypothèse de départ est qu’il y a peut-être des substances auxquelles sont exposées les familles dans les clusters de leucémie de l’enfant qui auraient un effet sur la multiplication des cellules sanguines de l’embryon que l’on peut mesurer chez le poisson.
Je vais donc d’abord mettre en place le modèle en testant les molécules dont on sait, a priori, qu’elles induisent des leucémies, et dans un deuxième temps, je pourrai tester les molécules suspectes d’être incriminées dans les leucémies de ces enfants dans les clusters.
Les résultats seront-ils transposables à l’humain ? Est-ce possible de prouver le lien de causalité ?
Le lien de causalité est quasiment impossible à réaliser chez l’humain parce qu’il faudrait exposer volontairement des populations et que ce n’est pas envisageable. À défaut, c’est le principe de précaution qui doit prévaloir parce qu’on n’a pas le choix.
Quant à cette nouvelle recherche, ce sont des données scientifiques dont on espère que les instances de régulation tiendront compte. Toutes les données qu’on obtient dans le laboratoire contribuent à un faisceau d’indices. Ça ne prouve pas formellement que chez les enfants habitant près des vignes qui sont traitées par tel ou tel pesticide, l’effet sera le même.
On pourra toujours arguer que c’est un poisson ou une souris et pas un humain. Mais ce sont des données scientifiques qui viennent contribuer aux éléments qui permettent de se convaincre du risque de ses substances par rapport à la population humaine. Ma philosophie est de produire un maximum de données convaincantes en espérant que les autorités régulatrices s’en empareront.
Fin 2023, le CHU d'Amiens a créé une consultation « pesticides et pathologies infantiles en lien avec le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides. Pensez-vous qu’il serait nécessaire de créer une structure similaire en Bretagne ?
Je crois que certaines familles seraient très demandeuses parce que ce serait un soutien énorme. Les familles sont vraiment démunies, elles suspectent des choses et souvent, ne sont pas écoutées. Il y a certains oncologues, pédiatriques ou pédiatres qui ne vont pas du tout accorder d’importance aux facteurs environnementaux.
Je pense qu’il y a un défaut de prise en charge de cet aspect environnemental. Donc d’avoir au moins une oreille compréhensive de ce point de vue là, ce serait un soutien au moins psychologique important.