Raphaël, éleveur laitier bio dans le Finistère, expert dans l'enquête sur le foncier agricole
Comment ça va depuis le 9 juin ?
Je suis sous le choc par la décision inconséquente du président de la République. Il vient de perdre le peu de crédit que j’avais encore pour lui.
Si l'extrême droite arrive au pouvoir le 7 juillet, qu'est ce que cela changera pour vous ?
Si l’extrême droite arrive au pouvoir, elle va mettre en application sa politique. On peut lui faire confiance. Mais même si elle n’arrive pas au pouvoir le 7, son idéologie infuse dans la société. Il ne faut pas se dire que cela suffit de la battre. Il faut démontrer que ses idées sont mortifères. Proposer et défendre une alternative crédible. C’est surtout cela qui me motive.
Isabelle Ellis, présidente de l’association Alerte contraceptions et psychologue pour enfants et adolescents, témoin dans l’enquête sur les implants Essure
Depuis le 9 juin, comment allez-vous ?
Heureusement que l’IVG a été inscrite dans la Constitution ! On constate une inquiétude dans le domaine de la santé. Depuis vingt ans, le système de santé est délibérément mis à mal et on paie aujourd’hui les conséquences de ces deux décennies de décisions. Par ailleurs, en consultation, dans mon métier, j’entends parler tout le temps de la situation politique. La dissolution de l’Assemblée est omniprésente dans les paroles des enfants et des jeunes.
Si l'extrême droite arrive au pouvoir le 7 juillet, qu'est-ce que cela changera pour vous ?
Je suis très inquiète sur les conditions d’accès à la contraception et à l’IVG. Il y aura des embûches, de la désinformation, des intimidations. Le RN ne va rien faire pour favoriser l’accès à la contraception des mineures sans l’accord des parents et je doute qu’on puisse parler aussi librement que maintenant de la contraception avec les jeunes, quelles que soient leurs orientations sexuelles, ou impliquer les hommes dans la contraception masculine. Il est très dangereux de ne pas placer l’être humain au cœur de nos préoccupations, de ne pas l’accepter avec ses différences, de refuser les parcours atypiques. C’est cela qui rend la vie douce, mais ce n’est pas le programme de l’extrême droite.
Lire notre enquête sur les implants Essure
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Monique, ex-maraîchère, experte dans l’enquête sur le foncier agricole
Depuis le 9 juin, comment allez-vous ?
J’ai une sensation d’écœurement et de découragement en voyant ce que fait la droite et l’extrême droite. Et je trouve Macron très dangereux : son manque de respect en général est révoltant. Mais la réaction à gauche, malgré des épisodes nauséabonds, donne à espérer. C’est quand on est face à l’adversité qu’on doit donner le meilleur de soi-même. J’ai l’impression que le monde citoyen et le monde syndical vont être suffisamment présents pour intimer à LFI, aux anciens socialistes et aux écologistes de droite, l’ordre moral d’être à la hauteur.
Si l'extrême droite arrive au pouvoir le 7 juillet, qu'est-ce que cela changera pour vous ?
Je ne pense pas que ma situation précaire va empirer. Je ne crois pas qu’ils diminueront ma toute petite retraite. Mais je suis inquiète pour ma sœur et sa famille : son mari et leurs deux enfants sont binationaux, ils voient très défavorablement ce qui risque d’arriver. Enfin j’ai une extrême inquiétude concernant l’environnement et le changement climatique. Le RN va doubler la vitesse des changements négatifs dans ces deux domaines.
Charlotte Cloarec, conseillère insertion et probation à la maison d’arrêt de Brest
Si l’extrême-droite arrive au pouvoir le 7 juillet, qu’est-ce que ça changera ?
La situation à la maison d’arrêt de Brest est déjà désastreuse et le programme du Rassemblement national ne peut que l’empirer. Il y a beaucoup de fausseté dans ce programme, il n’est par exemple pas fait mention des peines de probation [condamnations en milieu ouvert ou aménagements de peine, NDLR] alors que toutes les recherches montrent l’efficacité de ces sanctions.
La prison ce n’est pas l’alpha et l’oméga de la sanction, et condamner sévèrement ne réduit ni la récidive ni l’insécurité. Ce qui fonctionne, c’est sanctionner proportionnellement.
La justice est là pour répondre à un délit, pas pour faire plaisir ou rassurer des citoyens et on peut craindre une plus forte instrumentalisation à ce niveau. Aujourd’hui, la justice va plus vite, les peines sont exécutées alors qu’il y a beaucoup de mensonges propagés par le RN sur ces questions.
Pour qu’une peine soit efficace, pour éviter la récidive, il faut qu’il y ait un accompagnement, dehors comme dedans. Mais aujourd’hui, il y a trop de détenus dans les prisons pour que cela soit efficace.
Le RN projette de construire de nouvelles prisons. Or aujourd’hui le budget de la justice part très majoritairement dans la construction de prisons et il n’y a plus de budget pour des actions d’accompagnement qui sont pourtant efficaces.
Thierry Abaléa, président du Mouvement associatif de Bretagne, témoin dans l’enquête sur le contrôle des associations par la sous-préfecture de Brest
Depuis le 9 juin, comment ça va ?
Après un temps de sidération provoqué par les résultats et la déclaration du Président, nous avons vu un nombre impressionnant de réactions du monde associatif dans tous les domaines de la vie sociale. Si ces déclarations révèlent une anxiété pour notre avenir commun immédiat, surtout pour les personnes les plus vulnérables, elles appellent aussi à un sursaut citoyen salutaire.
Si l’extrême droite arrive au pouvoir le 7 juillet, qu’est-ce que ça changera pour vous ?
Je crains que ce qui s’est mis en place depuis quelques années s’accélère brutalement : une dislocation progressive et insidieuse du tissu associatif qui ciblera en premier lieu les associations de défense des droits humains, les associations écologistes et les mouvements d’éducation populaire. Puis qui s’étendra aux associations qui oseront porter une voix discordante et qui se généralisera à tout le tissu associatif. Celui-ci pourra être remplacé par des « œuvres » présentées comme « charitables » télécommandées et inféodées au pouvoir.
Or ce qui fait la vitalité associative, c’est sa diversité, son entremêlement, son maillage du territoire et sa capacité à interpeller les pouvoirs publics sur les insuffisances et les besoins non-couverts en associant largement les personnes sans discrimination.
Ce démantèlement continuera de s’opérer plus brutalement encore à coups de suppression des financements, d’interdiction des manifestations et de réunions, de tracasseries administratives et policières et de dissolutions arbitraires.
Lire notre article sur ce qui s’est passé à Brest
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Michel Besnard, président du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest
Depuis le 9 juin, comment ça va ?
J’ai beaucoup de points d’interrogation pour l’avenir. Ma crainte, après le mois de février catastrophique sur le plan des pesticides, est que le détricotage initié par le gouvernement se poursuivre. Est-ce que ce recul va être accentué et aller vers encore plus de libéralisation dans l’utilisation des pesticides, de réduction des normes de protection de la biodiversité et de la santé humaine ? Mon inquiétude, c’est que le recul s’accélère.
Mais cette inquiétude ne paralyse pas notre détermination. Au contraire, elle renforce notre détermination. Depuis le 9 juin, nous n’avons pas vu de conséquence sur les actions qu’on mène avec le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest par rapport aux malades ou aux riverains. On continue de recevoir des appels de nouvelles victimes des pesticides.
Si l’extrême droite arrive au pouvoir le 7 juillet, qu’est-ce que ça changera pour vous ?
Pour l’association, cela ne va rien changer dans notre détermination à lutter pour l’interdiction des pesticides, et dans notre combat pour la défense des droits des malades et la défense des riverains. On continuera comme avant. Surtout ne pas baisser la garde. Ce peut être plus difficile, mais avec les membres du collectif, nous poursuivrons nos réunions dans la lancée de ce que nous faisons déjà.
Au-delà des pesticides, il y a la question de la démocratie, des manifestations réprimées… Mais c’était déjà en route, tout cela. En ce qui me concerne, je continue comme avant. Je ne changerai rien dans mes actions. Et personne, au sein du collectif, est dans cet état d’esprit. Je n’ai vu aucune réaction de défaitisme liée à la dissolution.
Pierre Chesnot, éleveur laitier bio dans les Côtes-d’Armor, témoin dans l’enquête Safer
Depuis le 9 juin, comment ça va ?
J’ai été choqué, mais pas très surpris par l’expression du vote. Je côtoie des gens qui ont ce vote [pour le Rassemblement national]. Je ne trouve pas que c’est la bonne façon de s’exprimer, mais je comprends ces gens qui sont désabusés. Ils n’ont pas les outils de lecture des enjeux de ce vote. Je vois la pauvreté de leur réflexion. Je vois aussi l’expression de Bardella et compagnie. Il joue très bien les imbéciles. Et ça rassure ces électeurs se faisant passer pour de pauvres gens du peuple.
Je suis très content du réveil du Nouveau Front Populaire, c’est tendu, mais il y a un bel élan, avec des gens comme Ruffin. Et je suis content que Mélenchon soit mis en sourdine.
Pour une fois, je n’ai pas voté Vert, je trouve qu’ils sont déconnectés de ce qu’on vit sur le territoire, hors-sol, proches du mouvement végan. Il y a énormément de tensions, les 4/5 des habitants vivent en ville et ont une incapacité à nous comprendre. Et enfin, les enjeux climatiques sont prépondérants dans tout ce que nous vivons.
Si l'extrême droite arrive au pouvoir le 7 juillet, qu'est-ce que ça changera pour vous ?
Rien ! Concrètement rien ! Je continuerai à faire ce que j’ai à faire. On a notre cap, on donne un sens à ce qu’on vit. Ce n’est pas parce qu’il y a des mouvements extérieurs qu’on va tanguer. On est enracinés et c’est important de ne pas se laisser émouvoir par les mouvements politiques. Ce qui se passe n’est pas inéluctable. Le monde a toujours été dans ces tensions-là. On aimerait que le monde soit parfait à l’échelle de nos vies, mais ce n’est pas le cas, et il faut tenir le cap. Si on croit en quelque chose, c’est important ! Et nous allons continuer à réagir contre ce qui entrave la marche vers le soin du bien commun.
Pascal Le Floch, enseignant chercheur en économie à l’Université de Bretagne occidentale
Depuis le 9 juin, comment ça va ?
Les résultats sont un séisme politique comme en témoignent les Unes des quotidiens nationaux et régionaux. Le 9 juin dans le Finistère, le parti d’extrême droite a gagné près de 10 points (24,89%) par rapport à 2014 (15,39%). Sur le plan national, la progression est de 6 points. L’ampleur des scores enregistrés par le parti d’extrême droite appelle une réflexion et des initiatives citoyennes. Parce qu’en 2014, le vote en faveur de l’extrême droite apparaissait comme un rejet des partis de gouvernement, cette fois, ça n’est plus un vote de rejet, c’est un vote d’adhésion.
Si l’extrême droite arrive au pouvoir le 7 juillet, qu’est-ce que ça changera ?
Un vote d’adhésion à l’extrême droite n’est plus une réponse à un sentiment d’abandon. Le choix de l’électeur s’inscrit au carrefour de sa propre trajectoire et de celle de ses concitoyens, proches ou éloignés. Or c’est en partie sur la peur de l’éloignement, du déclassement, de la mutation des territoires, que les partis d’extrême droite construisent un projet politique en apparence séducteur. Cette tentation est une illusion, car elle est nourrie par le rejet des différences.
Souvenons-nous du slogan de 2014 « Oui à la France, non à Bruxelles ». Cette accroche peut être déclinée à toutes les échelles – territoriales, régionales, nationales et mondiales. Un lieu de vie est par définition ouvert, avec des règles d’usage bien entendu. Sans ouverture, c’est un lieu sans vie.
C’est ce qui pourrait changer pour l’ensemble des populations : un enfermement dans son territoire sans une ouverture suffisante pour favoriser les échanges. D’autres projets sont possibles, garantissant cette ouverture des territoires dans notre espace de vie, celui de l’Union européenne. C’est aux partis sociaux-démocrates, mobilisant les initiatives citoyennes, de démontrer aux électeurs que le vote d’extrême droite n’est pas une solution d’avenir.
René Louail, ancien conseiller régional écologiste et syndicaliste paysan
Depuis le 9 juin, comment ça va ?
Mal. Je ressens un profond malaise. Les sondages ne se sont pas trompés. Nous sommes déjà face à la situation que l’on redoutait pour 2027. Cela va plus vite que prévu. Le malaise est accentué par cette décision de convoquer des élections anticipées. Faire croire qu’on peut jouer les démocrates en jouant avec les outils de la Vᵉ République, c’est une folie. Tous les gens qui ont voté pour le Front national ne sont pas des fachos. Ce sont des gens qui sont abandonnés, écœurés, désavoués. Tous ceux qui dénoncent la réforme des retraites, les conséquences dévastatrices des politiques de libre-échange, personne ne les a écoutés. C’est une lame de fond qui est en train de se structurer.
Et si je suis mal, c’est que je crois que le problème est devant nous, pas derrière. Nous ne sommes pas dans une situation d’une société apaisée, nous sommes dans une situation où il faut barrer l’arrivée des fachos au pouvoir. La montée du RN et de l’extrême droite, c’est la porte d’entrée de Vladimir Poutine dans l’Union européenne. Il fallait sans doute détricoter les accords de libre-échange très mauvais pour nos sociétés. L’Europe, il faut la reconstruire par l’investissement, à l’inverse de ce que prévoit le RN, qui veut réduire de deux milliards la contribution de la France. Le vivre-ensemble est menacé.
L’Europe va devoir accueillir des réfugiés climatiques, mais on ne peut même plus en parler : Macron a tout saccagé. Il a réalisé un nivellement par le bas : l’économie de marché débridée, avec une politique sociale sacrifiée, l’absence de prise de responsabilité face au phénomène de réchauffement climatique. Je suis atterré. C’est dans les territoires ruraux que Bardella a fait les plus gros scores. Pourtant, il n’apporte aucune solution à la ruralité. Il s’adresse à l’agriculture de rente et au capital. Il a toujours ratifié les accords de libre-échange. Les sondages de ce mardi 18 juin renforcent mon inquiétude. En tout cas, merci à François Ruffin d’avoir provoqué le Front populaire.
Si l'extrême droite arrive au pouvoir le 7 juillet, qu'est-ce que ça changera pour vous ?
Je fais partie des retraités de l’agriculture. L’extrême droite au pouvoir, c’est une menace sur les politiques sociales. Elle va s’attaquer à la situation des migrants, aux retraités et aux catégories sociales les plus fragiles. Le RN veut trouver 17 milliards pour faire baisser la facture d’énergie. Mais ce ne sont pas les petites gens qui vont en bénéficier, ce sont les grandes entreprises qui consomment beaucoup d’énergie. Pour moi, en tant que retraité de l’agriculture, la baisse de la facture d’électricité ne va pas changer grand-chose. Par contre, Bardella va appliquer une politique de coupes sombres des dépenses sociales. Au quotidien, cela va être une vie d’enfer.
Il va installer un climat de haine et d’intolérance à l’échelon de nos communes. Je suis extrêmement inquiet. Nous étions le pays des droits de l’homme, nous allons devenir le pays de l’intolérance.
Mais je vais continuer à me battre, jour et nuit. Je veux transmettre un message d’espoir, pour provoquer un véritable sursaut démocratique. Si on s’y met tous, on peut inverser la tendance actuelle. Je pense à mes quatre petits enfants.
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