Barrage de Baixo Iguaçu : litiges en cascade

29 mars 2022
Lena Lopes
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En amont des célèbres chutes d’Iguaçu, située dans l’État du Paraná, dans la région sud du Brésil, le barrage de la filiale brésilienne d’Iberdrola, Neoenergia, sème le trouble quant à son impact sur l’environnement et sur les habitants. L’Unesco se dit « extrêmement préoccupée ». Des centaines de familles ont été expropriées dans des conditions vivement contestées. Face aux cris de détresse de ces familles, l’attitude du consortium agace jusqu’au gouvernement.

Cinquième volet d’une enquête réalisée sur la base de la documentation existante, d’entretiens réalisés par Splann ! et des articles publiés par la presse locale.

Description de l’infrastructure

Inquiétudes pour une merveille de la nature : les chutes d’Iguaçu

L’Unesco pas tenue au courant

L’usine est située en amont des célèbres chutes d’Iguaçu, et à 500 m du parc national d’Iguaçu, classé au patrimoine mondial de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Selon l’institution internationale, malgré ses demandes, aucune évaluation des impacts de l’usine ne lui a été fournie avant sa construction et sa mise en service.

« Il est extrêmement préoccupant qu’aucune évaluation spécifique des impacts de la centrale hydroélectrique sur la valeur universelle exceptionnelle (VUE) du bien n’ait été soumise avant la construction et l’exploitation du barrage, comme l’avait demandé le comité. Il est également préoccupant de constater que toutes les recommandations de suivi réactif de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) de 2015 n’ont pas été mises en œuvre. »

— Unesco, observations de 2021 ,

L’Unesco a donc demandé à l’État brésilien de lui fournir une évaluation spécifique des impacts, en particulier sur les niveaux d’écoulement de l’eau prévus. Délai prévu : fin 2022.

Neonergia, de son côté, a assuré à Splann ! que « le projet concrétise une nouvelle contribution à l’environnement dans lequel il est inséré, maintenant et même améliorant les conditions de visite des chutes ».

Des problèmes concernant les licences environnementales

Des lacunes dans la prise en compte des impacts environnementaux ont été identifiées par Rafael Ferreira Filippin dans une thèse soutenue en 2016. Des lacunes, il y en aurait aussi eues dans la mise en place des compensations pour les riverains déplacés.

Entre 2010 et 2015, le consortium a fait face à plusieurs déboires judiciaires : la licence environnementale préalable a fait l’objet d’une demande de suspension et a été temporairement annulée par la justice fédérale, à cause d’impacts « sous-estimés ». Quant au permis d’installation, il a été suspendu pendant plus d’un an par le tribunal régional fédéral, pour des raisons environnementales, ce qui a conduit à l’arrêt des travaux sur cette période.

 

Long combat des familles expropriées pour leurs droits

Sous-estimation de la population impactée par l’usine ?

Trois cents cinquante-neuf familles seraient touchées par le barrage, selon le rapport d’impact environnemental de 2008. Le Mouvement des personnes atteintes par les barrages (MAB) parle plutôt de 1.025 familles, tandis qu’en 2014, le conseiller spécial aux affaires foncières du gouvernement du Paraná évoquait 623 familles réclamant une indemnisation. Au moment de l’inauguration officielle, en 2019, environ 100 familles étaient encore dans une situation indéfinie, dénonce le MAB.

Accusations d’expropriations et d’expulsions sans préavis ou indemnisations

Des cas de familles expropriées, dans la détresse, et toujours pas indemnisées sont rapportés par le MAB en 2016 et 2018.

Des habitants expliquent en 2014 à un journaliste qu’ils ont fait face à des personnes venues avec un acte de reprise de possession sans préavis, et qui leur disaient qu’ils devaient retirer leur bétail, sous peine d’amende.

« Ils ont envahi [les terrains], ils n’ont rien demandé à personne, ils n’ont payé personne. Ils sont arrivés en coupant le maïs, en démolissant les barrières, en laissant partir le bétail, comme s’ils étaient les propriétaires. »

— Citation de Dona Irene, recueillie par le Mouvement des personnes atteintes par les barrages ,

Des habitants rapportent des expulsions « sans négociation préalable et juste », des pertes de bétails et un préjudice pour leur production agricole

Des familles perdues au milieu des bulldozers

L’implantation du chantier en 2013 a débuté alors que onze familles dont la situation n’avait pas encore été résolue résidaient encore sur le terrain destiné aux travaux. Les familles « souffrent jour et nuit avec le bruit des détonations de roches et le bruit des machines », rapporte une habitante touchée par le projet au journal Outras Palavras, en 2014.

Les travaux commencent, les indemnisations tardent

Des négociations sur les indemnisations étaient toujours en cours au début des travaux. Selon des habitants, le consortium ne présenterait pas de propositions concrètes et annulerait sa participation à des réunions de négociations programmées, ce qui irrite aussi le gouvernement régional :

« Nous ne sommes pas ici pour blaguer. Ce n’est pas sérieux, [le consortium] nous fait tous perdre notre temps. »

— amilton Serighelli, attaché spécial aux sujets fonciers du gouvernement du Paraná, lors d’une audience publique en 2016 ,

Le ministère public et le défenseur public du Paraná indiquent à Splann ! qu’une trentaine de familles revendiquent toujours leur droit à des indemnisations ou à un relogement.

Difficultés des familles expropriées à se reloger correctement

Selon le ministère public d’État du Paraná, en 2017, le Programme de « réaménagement » de la population n’intégrait que la possibilité d’une « auto-réinstallation assistée », avec une carte de crédit fournie aux habitants. Or, l’option d’un relogement rural collectif était l’une des obligations présentes dans le Plan basique environnemental.

Le prix du rachat des terrains par le consortium aurait été sous-estimé dans un premier temps, jusqu’à 30 % de moins que leur valeur réelle, affirme le MAB, qui cite le secrétariat régional de l’Agriculture et pointe la non-prise en compte de l’inflation depuis 2013. Cet écart est aussi constaté par le ministère public en 2016 et le consortium a finalement accepté de revaloriser les indemnisations. Le ministère et le MAB pointent la lenteur avec laquelle le consortium recherche et propose des terrains pour une réinstallation collective de familles, alors qu’il s’agit d’une obligation. Selon les personnes touchées, cela constitue une violation des droits humains.

« Neoenergia, propriétaire majoritaire de l’usine, est en train d’enfreindre plusieurs droits humains relevés par le Conseil de défense des droits de la personne humaine, parmi lesquels la violation du droit à une juste négociation. »

— Mouvement des personnes affectées par les barrages (MAB), 2016. ,

Sollicité par Splann !, Neoenergia répond que le consortium Baixo Iguaçu « a constamment travaillé aux réexamens » des cas des familles impactées, et qu’ « à de nombreuses occasions, les évaluations des cas ont eu la participation directe de leurs représentants, s’assurant du respect des critères d’éligibilité qui sont inscrits de manière claire et objective dans le Programme de réinstallation de la population. »

Forte mobilisation contre le barrage

Opposition internationale

De nombreuses manifestations d’habitants ont eu lieu depuis 2013, comme des occupations du chantier et de son entrée, ainsi que du siège de l’entreprise de Neoenergia Geração Céu Azul. Une manifestation internationale s’est déroulée le 31 octobre 2014 à Bilbao (Pays basque espagnol, siège d’Iberdrola), où un « tribunal de rue » a jugé les « violations des droits humains » dont est accusée Iberdrola, propriétaire de Neoenergia.

Répressions des oppositions

À la demande du consortium, une juge interdit au MAB d’occuper le chantier (sous astreinte de 100.000 reals soit 32.000 euros de l’époque, amende retirée quelques jours plus tard). Les participants du mouvement dénoncent la « criminalisation » de leurs leaders lors de manifestations, se traduisant par des détentions, des intimidations et la présence de policiers sans identification. En 2016, le MAB relate que la police militaire aurait tiré des grenades lacrymogènes et des balles en caoutchouc sur des manifestants lors d’une occupation du chantier. Plusieurs manifestants auraient été blessés, d’autres arrêtés.

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