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« À la Cooperl, on lave son linge sale en famille », Kristen Falc’hon sur Radio Évasion

« Splann ! » a publié à l’automne 2023 une enquête en plusieurs volets sur la Cooperl, coopérative porcine bretonne dont les choix économiques l’éloignent de l’esprit coopératif, au détriment des éleveurs. Et le géant affiche pourtant des fragilités. Kristen Falc’hon, co-auteur de l’enquête avec Ivan Logvenoff, était l’invité de Radio Évasion le 12 décembre 2023 pour en parler. Kristen Falc’hon est lui-même fils d’un éleveur de porcs qui a fait faillite. C’est une des raisons pour lesquelles il s’est progressivement intéressé au système économique de la production porcine bretonne, première de France par ses volumes ; un secteur économique capital mais dont les répercussions environnementales sont de plus en plus problématiques. S’y ajoute la question sociale quand le système vacille.

La stratégie d’intégration de la Cooperl

Avec près de 8000 salariés et 2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaire en 2022, la Cooperl n’a cessé de prendre de l’ampleur ces dernières années. À coup de rachats ou créations de filiales, dont 10 à l’étranger (Chine, Russie, États-Unis, Côte d’Ivoire…) l’entreprise a fini par intégrer tous les maillons de la chaîne de la filière porc : de la production d’aliments, de médicaments et de matériels pour l’élevage jusqu’à la transformation (salaisons), en passant par la production d’énergie (par méthanisation ou transformation de la graisse de porc en carburant), la conservation génétique ou le prêt d’argent.

Le financier prend la main sur l’agricole

Cette intégration entraîne de fait une course en avant : il faut toujours plus de porcs pour alimenter les différentes activités. Non seulement la Cooperl s’éloigne de son modèle lancé dans les années 1960 par une vingtaine de producteurs à Lamballe, mais les plus de 3.000 éleveurs adhérents ont de moins en moins la main sur la stratégie de l’entreprise. Les candidatures au Conseil d’administration sont assez verrouillées, la complexité de l’organisation devient peu lisible pour un adhérent de base… Certes, les 3.000 adhérents profitent des multiples services et accompagnements de la coopérative, y compris des prêts financiers, avec des revenus parfois élevés (4 à 5.000 € mensuels pour un élevage de 300 truies). Cependant, la coopérative a décidé en 2015 de fixer elle-même le prix payé pour les animaux, en dehors de celui du marché (marché du porc breton de Plérin) et ça peut être au détriment des éleveurs selon les cours du porc. En outre, comme les contrats durent 5 ans, il est très difficile de fait de sortir de la coopérative. Plusieurs éleveurs ont dénoncé cette situation dans l’enquête (tout en souhaitant conserver l’anonymat).

Incertitudes sociales malgré le gigantisme de la Cooperl

Malgré sa taille, la Cooperl n’est pas forcément en bonne santé financière. L’entreprise a récemment annoncé des suppressions d’emploi dans son activité salaison. Il y a donc un enjeu social en plus des conséquences écologiques de la production porcine (excédents d’azote qui polluent les eaux et alimentent les algues vertes). Si la coopérative devait s’effondrer, les conséquences économiques seraient importantes, en particulier pour Lamballe et sa région. La stratégie de croissance va jusqu’à l’acquisition d’exploitations par la coopérative elle-même. Des fermes expérimentales et dont l’activité est destinée notamment à travailler sur les gènes du cheptel. Mais du fait de leur taille, ces unités de production alimentent aussi les usines du groupe (et créent de fait une concurrence vis à vis des éleveurs). « Ligne rouge à ne pas franchir » selon les syndicats agricoles, cette entrée de la Cooperl dans la production éloigne résolument la coopérative de sa philosophie initiale : une agriculture « familiale » sur des terres qui appartiennent aux éleveurs. Ces derniers voient leur outil leur échapper et deviennent à leur tours ses instruments…