- Le déploiement de la fibre, principalement aérien, provoque d’importants dégâts sur les haies.
- Ces destructions ne sont pas soumises à des déclarations, contrairement au secteur agricole.
- Les concertations avec les collectivités et l’anticipation de ces chantiers sont inégales, et parfois inexistantes.
Il faut avoir l’œil, sur les routes de campagne, pour repérer les haies malmenées par les lamiers, un outil de taille. Mais aucune d’entre elles n’échappe à Jean-François de Ramecourt, président de la branche de Loire-Atlantique de Fransylva, fédération des forestiers privés de France. Ce jour de fin d’automne, alors qu’un camion chargé de poteaux en vue du déploiement de la fibre occupe un large pan de la chaussée, il désigne des arbres au profil « penché » et se désole : « Regardez, là, ils ont taillé le haut des chênes en biais côté route, puis côté champ. Ça fait une pyramide. Quand vous voyez ça, vous pouvez être sûre que l’étape suivante, c’est l’étêtage, c’est-à-dire la suppression du houppier de l’arbre, ce qui peut poser des problèmes pour sa survie. » Propriétaire de plusieurs parcelles bordées d’arbres, il ne décolère pas face à ce qu’il considère comme « un massacre » dû au déploiement de la fibre. Pour faciliter le passage des câbles lorsqu’une commune est équipée de très haut débit, les propriétaires sont tenus d’entretenir les arbres et haies situés sur leurs parcelles. Très sensible, la fibre pourrait être endommagée au contact de la végétation, assurent les opérateurs.
« Il y a des dégâts partout », appuie son ami Yann, copropriétaire d’une forêt de plusieurs centaines d’hectares avec un alignement d’arbres remarquables près duquel passe la fibre, et qu’il était censé élaguer. Ce qu’il a refusé. « Ils n’ont pas osé couper les chênes centenaires qui bordent la route, mais ils feront étêter les petits arbres, comme ça s’est passé dans la zone de la propriété où ils ont commencé le déploiement, et cela empêchera, à terme, le renouvellement de cet alignement », regrette-t-il. « L’idéal aurait été d’enfouir la fibre », pense Jean-François de Ramecourt. « Plus de 50 % du réseau très haut débit en fibre optique est enfoui, répond le département de Loire-Atlantique, interrogé par Splann !. Cet enfouissement est beaucoup plus coûteux que le déploiement en aérien, lequel permet donc de desservir beaucoup plus rapidement l’ensemble des locaux de Loire-Atlantique [100 % de couverture à l’horizon 2025] ».
En Bretagne administrative, une facture de plus d'un milliard d'euros
Le déploiement du très haut débit a aussi provoqué des dégâts dans les départements de la Bretagne administrative : « La fibre a entraîné beaucoup de destructions des haies, par peur que ça gêne », dit Aline Dangin, technicienne à Pontivy et présidente de l’association des techniciens de bassins versants bretons (ATBVB). « Quand la fibre est déployée en aérien, on peut être à peu près certain que la haie à côté va être méchamment ratiboisée », avance de son côté Thibault Preux, géographe. Interrogés par Splann !, les élus insistent sur le coût du réseau, s’il avait dû être enfoui : « La Région a préféré équiper un maximum de territoires plutôt que d’enterrer la fibre, car cela aurait coûté très cher », explique Carole Le Béchec, élue au conseil régional et présidente de la commission climat, transitions et biodiversité. « La facture serait montée à plus d’un milliard d’euros », appuie Vincent Alleno, maire de Plaintel et vice-président de Mégalis, le syndicat mixte en charge du projet « Bretagne très haut débit ».
L’appel d’offres adressé aux entreprises en charge de déployer les 50.000 kilomètres de câbles de fibre mentionnait-il l’impératif de prendre soin des haies ? Interrogé par Splann !, Vincent Alleno confesse qu’il l’ignore. Quant au cahier des charges qui encadre ce déploiement, notre média l’a demandé à plusieurs reprises à Mégalis, sans succès. « La convention de délégation de service public avec le délégataire Fibre44 en charge du déploiement de la fibre mentionne expressément des engagements de ce dernier en matière de protection de l’environnement », répond de son côté le département de Loire-Atlantique, qui a introduit par avenant en 2022 une clause de restriction de la période d’élagage entre le 15 mars et le 31 août.
« L’obligation d’élagage a sans doute été maladroite dans certains endroits, ce qui a pu induire des comportements abusifs »
« Les municipalités ont envoyé des courriers « merci de couper votre haie pour le passage de la fibre », et certains ont pensé qu’il fallait tout couper alors que ce qui était demandé c’était un entretien », remarque Aline Dangin, technicienne et présidente de l’ATBVB. « Nous avons reçu des lettres nous indiquant nos obligations d’élagage sous la fibre, avec mention des risques financiers et juridiques qu’il y a si nous n’obtempérons pas, confirme Jean-François de Ramecourt. Apeurés, ou satisfaits par cette opportunité, beaucoup de propriétaires se sont précipités et ont coupé leurs haies à 1,50 m du sol. » Ceux et celles qui refusent ou négligent de répondre à ces demandes reçoivent des mises en demeure, voire la facture de l’élagage fait par l’exploitant ou la mairie.
Alain Cupcic, maire de Kergrist-Moëlou (22) et vice-président de la communauté de communes du Kreiz-Breizh (CCKB) ajoute : « Une fois que tu as élagué et que la fibre est posée, si tu passes ton lamier et que tu coupes la fibre, ce sera à ta charge. Et réparer une fibre, c’est plusieurs milliers d’euros suivant la longueur. Alors, plein de gens se sont dit : « Je vais pas m’emmerder à couper tous les ans ma haie. » Donc, il y a eu beaucoup d’arbres à tomber. Il y a des endroits tellement atteints que la municipalité a été obligée d’intervenir. »
Des rappels à l'ordre en Loire-Atlantique
En Loire-Atlantique, le Département a également dû faire des rappels à l’ordre suite à des coupes trop agressives : « Il est arrivé que des habitants ou des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) sollicitent le Département pour signaler des élagages non conformes à nos préconisations. S’il s’agit bien de travaux effectués pour le compte de la collectivité, ces alertes sont relayées aux entreprises afin que la réglementation soit rappelée aux équipes sur le terrain. »
Autre problème : ces élagages, voire arasements, ne sont pas soumis à déclaration. Alors que dans le milieu agricole, un arrachage est accompagné d’un processus légal strict [lire « Champs libres aux arasements »]. Une sorte de passe-droit accordé à la fibre que regrette le rapport d’avril 2023 du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), consacré aux haies.
« On peut travailler pour que les élagages nécessaires ne soient pas des carnages, dit David Rolland, salarié de la fédération de chasse des Côtes-d’Armor. J’interviens régulièrement pour donner des conseils aux propriétaires, à la demande des mairies, par exemple. Et certains techniciens bocage le font aussi. »
En Loire-Atlantique, le délégataire Fibre44 a noué un partenariat avec l’Afac-Agroforesteries (association nationale « œuvrant pour l’arbre et la haie ») pour former ses sous-traitants dédiés à l’élagage. « Quand c’était possible, il y a eu des liens en amont avec ceux qui posaient la fibre pour que ce soit bien fait, mentionne Julie Le Pollès, technicienne bocage dans la baie de Douarnenez. Mais souvent, il n’y avait pas de concertation avec les sous-traitants. » Cette question de la sous-traitance a été évoquée par plusieurs des personnes rencontrées par Splann ! comme étant particulièrement problématique.
Certaines collectivités ont choisi de prendre en charge ces travaux d’élagage, sans les sous-traiter. C’est le cas, par exemple, dans la commune de Plouaret. « On a anticipé et déplacé nos chantiers de coupes, pour élaguer là où la fibre doit passer sans que les riverains n’aient besoin de le faire », explique Annie Bras-Denis, maire de cette petite ville costarmoricaine. Elle ajoute que les agents en charge de ces travaux sont formés et équipés pour élaguer sans blesser les arbres. « Ils n’utilisent jamais de lamiers, qui ont tendance à abîmer les arbres », précise-t-elle. Le déploiement de la fibre, « ça aurait pu être fait dix mille fois mieux, si ça avait été anticipé, organisé, discuté », termine Julie Le Pollès. Malheureusement, « beaucoup de gens ont fait remonter que les haies ont été esquintées ».
Des arbres contre des panneaux solaires
La fibre n’est pas le seul outil de la « modernisation » de nos modes de vie qui meurtrit les haies. Il arrive même que sous couvert de « transition énergétique », des arbres soient coupés, ou risquent de l’être. Ainsi, aux portes de Rennes, à Cesson-Sévigné, 3.000 arbres menacent d’être abattus pour installer des panneaux photovoltaïques. « Ces arbres constituent cinq kilomètres de haies plantées il y a 7-8 ans en contrepartie de la construction ferroviaire de la ligne à grande vitesse, qui a occasionné par mal de destructions », ne décolère pas Edgar Blot, président de l’association de défense du cadre de vie des hameaux sud de Cesson-Sévigné.
Située entre la voie ferrée et une départementale, la haie commence à être bien fournie. On y trouve – entre autres – des chênes, néfliers, frênes, merisier et cornouillers… autant d’essences accueillantes pour une très riche biodiversité. « Imaginer qu’ils vont tout casser, c’est inacceptable », déplore Edgar Blot.
L’affaire pourrait durer plusieurs années, de quoi laisser le temps aux passereaux de nicher tranquilles. Ceux qui avaient élu domicile le long de la voie ferrée qui relie Le Mans à Angers n’ont pas eu cette chance. Entre avril et juillet 2019, en pleine période de nidification, près de 3.000 arbres de haut jet ont été rasés par SNCF réseau, filiale en charge de l’entretien des lignes de chemin de fer. Des dizaines de fauvettes à tête noire, mésanges charbonnières et troglodytes mignons ont probablement péri cette année-là. Prise la main dans le sac par des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB), l’entreprise a été condamnée en août 2022 à 450.000 euros d’amende. Elle a fait appel. « La gravité des dommages causés à l’environnement explique ce montant très élevé, détaille Benjamin Hogommat, juriste de l’association France nature environnement, partie civile dans cette affaire, aux côtés de la Ligue de protection des oiseaux (LPO). Nous espérons que, suite à ce jugement, les gestionnaires d’infrastructures linéaires d’énergie et de transports : routes, lignes électriques, gazoducs seront plus attentifs. »
Illustrations par Yann Le Sacher
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