Algues vertes : le rapport d’autopsie du joggeur décédé en 1989 aurait été détruit
La Rédaction - 31 janvier 2025
« Splann ! » dresse un bilan inédit et détaillé de l’artificialisation des sols sur les côtes bretonnes. Notre enquête révèle comment les bétonneuses passent parfois…
Dater toutes ces alertes est un moyen pour lui de souligner l’incurie des pouvoirs publics, alors qu’il vient enfin de recevoir une réponse à un ultime courrier envoyé au procureur de Saint-Brieuc, demandant le rapport d’autopsie d’un joggeur mort dans les algues vertes, en 1989. Ce dossier aurait été détruit au bout de 20 ans, en 2009.
Splann ! : À quel moment avez-vous pu constater le danger des algues vertes ?
Pierre Philippe : Comme je suis originaire du Trégor, j’ai vu les dégâts environnementaux dès mon adolescence. Quand j’étais enfant, il n’y en avait pas. Le premier constat officiel date de 1971, j’avais 11 ans. C’était une pollution olfactive horrible, mais je n’avais pas conscience du danger.
J’étais médecin aux urgences de Lannion [dans les Côtes-d’Armor, NDLR] quand, en 1989, le corps d’un joggeur a été trouvé dans un amas d’algues vertes en putréfaction, au fond de la baie de St-Michel-en-Grèves.
Comme c’était un jeune sportif en parfaite santé, je me suis posé la question, tout comme un journaliste de Ouest-France qui avait titré : « Les algues vertes ont-elles tué ? »
J’ai refusé de signer le certificat de décès, car je ne pouvais pas examiner le corps, tellement l’odeur était pestilentielle. Ça n’était pas l’odeur d’un corps en putréfaction, c’était l’odeur des algues putréfiées. Il a été adressé à l’hôpital de Saint-Brieuc où l’autopsie a été faite par un médecin légiste, mais je n’ai jamais eu le résultat.
Puis, il y a eu l’affaire de Maurice Briffaud ?
Oui, dix ans après, en 1999, ce ramasseur d’algues a fait un grave malaise au même endroit. Des convulsions successives sans reprendre conscience. Il se trouve que je le connaissais, c’était un homme en pleine forme.
Après cinq jours de réanimation et dix jours d’hospitalisation en neuro à Saint-Brieuc, la cause n’avait pas été décelée. Je savais que l’hydrogène sulfuré (H2S) dégagé par les algues vertes en putréfaction pouvait engendrer ce genre de convulsions, et là j’ai décidé d’alerter la Ddass [direction départementale des affaires sanitaires et sociales, ancêtre de l’agence régionale de santé, l’ARS, NDLR] en rappelant la mort du joggeur en 1989.
Il m’a fallu plusieurs courriers et treize mois pour avoir un retour du centre anti-poison de Rennes auquel avait été transféré mon alerte.
Leur conclusion : « Comme il n’y avait jamais eu de cas décrit, ils n’avaient pas de raison de retenir l’hypothèse des algues vertes. » Dans ce cas, tant qu’on ne retient pas cette hypothèse une première fois, elles ne seront jamais mises en cause. Ce type de réponse est totalement une hérésie
Six mois après, Maurice Briffaud était toujours très fatigué, et c’est classique d’une intoxication à l’H2S. D’ailleurs il n’a pas été surpris que j’émette cette hypothèse car il avait déjà trouvé des animaux morts dans les algues.
Justement, la mort d’animaux a entraîné une nouvelle alerte en 2008.
Oui, deux chiens sont morts simultanément cet été-là mais la Ddass niait le fait qu’il puisse s’agir des algues vertes car « aucun cas n’avait jamais été décrit ». Je ne pouvais pas laisser dire ça, vu que j’avais alerté neuf ans auparavant.
J’ai donc contacté les associations qui justement organisaient en septembre une conférence sur les dangers de l’hydrogène sulfuré à Plestin-Les-Grèves (22), avec le Pr Lesné du CNRS
J’ai été invité à témoigner avec Maurice Briffaud, et en amont j’ai accordé ma première interview à une équipe de France 3 Bretagne, dans mon bureau de l’hôpital de Lannion, en leur montrant mon courrier de 1999 à la Ddass. Il y a aussi eu un reportage sur la conférence de Plestin à laquelle assistaient 200 personnes et où le Pr Lesné a également été interviewé.
Vous n’avez pas eu de problèmes avec votre hiérarchie ?
Pas vraiment, car j’avais demandé l’autorisation, mais je n’ai plus jamais pu donner d’interview dans mon service car l’hôpital ne voulait pas être associé à mes propos.
Au printemps suivant j’ai participé à un reportage de Thalassa qui a fait beaucoup de bruit.
Puis, à l’été 2009, il y a eu l’affaire du cheval mort dans les algues vertes, toujours sur la même plage, alors que le cavalier, Mr Petit était lui-même victime d’un malaise et hospitalisé à Lannion. Je lui ai conseillé de demander une autopsie de son cheval, mais il y a eu opposition des services vétérinaires, et j’ai subi des pressions, car la préfecture a appelé la direction de l’hôpital qui m’a mis en garde. J’ai répondu : « Je ne m’écraserai pas, ça dure depuis vingt ans et il est temps d’avancer. »
Quand le directeur des services vétérinaires a essayé de me discréditer, je lui ai fait remarquer qu’il devait participer le lendemain à une réunion à ce sujet à la préfecture, et je lui ai dit que s’il continuait à minimiser l’affaire, j’alerterais les associations environnementales et les médias pour dire que l’administration empêchait les avancées scientifiques. D’ailleurs l’emballement médiatique était en cours et j’ai témoigné à de nombreuses reprises.
La même année, il y a eu le décès de Thierry Morfoisse, un ramasseur d’algues, à Lantic (22), puis en 2016, celui de Jean-René Auffray, un joggeur, à Hillion (22). Avez-vous continué à témoigner ?
J’avoue que j’ai été prudent, car ce n’était pas mon secteur. Je ne voulais pas faire d’ingérence. C’est très difficile de demander les dossiers médicaux sans invalider le collègue qui était sur place. Je ne me sentais pas légitime pour aller fouiller dans un dossier qui datait de plusieurs jours, car Mr Morfoisse était déjà enterré…
Je voulais rester sur des dossiers que je connaissais personnellement, pour être irréprochable, car on peut vite être discrédité à se mêler d’autres affaires, si jamais ce qu’on dit est invalidé.
Vous avez le sentiment que malgré toutes ces affaires et ces alertes, les pouvoirs publics sont dans le déni ?
C’est évident. Quand j’ai découvert, après son enterrement, que Jean-René Auffray était un utra-trailer, je me suis dit que ça changeait la donne au niveau médical, et qu’il aurait fallu faire une autopsie. Et puis, entre temps, il y a eu toutes ces morts simultanées de sangliers en 2011 ; je ne suis pas vétérinaire, donc je ne me suis pas prononcé, mais il y a des traits communs.
Les morts d’animaux permettent d’avoir un registre probant sur le plan anatomo-pathologique, si bien sûr les autorités communiquent les résultats. Pour les sangliers morts à l’automne 2024, on attend toujours.
Malheureusement sur les humains décédés, il n’y a pas eu d’autopsie dans les temps, et donc pas de résultats fiables. Sauf en 1989, mais là, on n’a jamais eu accès aux résultats.
Justement, en avril 2024 vous avez écrit au procureur de Saint-Brieuc et au ministre de la Justice pour demander les résultats de cette autopsie de 1989, et vous venez d’obtenir une réponse.
Oui. Le procureur me dit qu’il a lancé des recherches au niveau des archives départementales, de celles de la gendarmerie, mais que le dossier a dû être détruit vingt ans après, c’est-à-dire en 2009, comme c’est le cas quand une affaire est classée sans suite.
Donc c’est cuit. Je ne suis pas surpris, mais j’en veux beaucoup à ceux qui n’ont pas fait leur boulot il y a quinze ans. Quand je leur ai demandé à l’époque, soi-disant il n’y avait pas de trace non plus, et là je m’interroge. Car en 2008, la médiatisation avait été conséquente, donc difficile de l’ignorer.
Mais quand je vois que mes courriers de 2009 me sont revenus avec un simple tampon, soit il y a eu négligence, soit c’était volontaire. Rennes, Saint-Brieuc et Guingamp se renvoyaient la balle. C’est clair que dans les années 2008-2010, on a voulu temporiser.
Quel bilan tirez-vous de tout ça ?
À titre personnel, la satisfaction d’avoir mis le doigt sur le problème. Il y a dû avoir des accidents ailleurs, mais si on ne s’interroge pas, on passe à côté. Le fait d’avoir vécu dans le coin a certainement fait que j’étais plus sensible et j’ai pu faire le lien. Et après, d’avoir essayé de faire bouger les choses, mais malheureusement avec beaucoup d’opposition et de mauvaise foi.
J’ose espérer que désormais, si survenaient de nouveaux accidents, les autorités ne pourraient plus faire l’autruche. Mais c’est d’une lenteur ! En 2020, on a demandé à l’ARS que les prélèvements soient systématiques en cas d’accident, on nous a répondu que c’était trop compliqué…
Allez-vous continuer à alerter ?
Bien sûr ! Si je suis dispo, je vais là où on me sollicite : je fais des interventions dans les lycées ou des conférences. J’ai fait une communication au Collège des médecines d’urgence de Bretagne. Je ne vais pas abandonner ! Il faut que le relais soit passé !
Je suis prêt aussi à participer à des débats ; J’aurais aimé par exemple débattre avec Erwan Seznec qui dans son livre traite de « complotistes » les gens qui alertent sur le danger des algues vertes en putréfaction, mais ce débat n’a pas eu lieu sur Tebeo comme cela avait été évoqué. Est-ce de son fait ou de celui de la chaîne ? Je n’ai pas de nouvelles.