Vitré communauté a subventionné une entreprise poursuivie par le Parquet national financier
Catherine Prigent - 13 juin 2025
« Splann ! » dresse un bilan inédit et détaillé de l’artificialisation des sols sur les côtes bretonnes. Notre enquête révèle comment les bétonneuses passent parfois…
Nous sommes le 16 décembre 2021 et, ce jour-là, tous les élus présents à la réunion du conseil communautaire de Vitré votent une aide de 1,2 million d’euros à une entreprise peu connue du grand public. Cette aide, provenant du plan de relance européen dans le cadre de la crise Covid, doit participer à la construction d’un nouveau bâtiment.
Le bénéficiaire s’appelle Idemia, compte 15.000 salariés dans le monde, appartient au fonds d’investissements états-unien Advent International et affiche un chiffre d’affaires consolidé mondial de 2,8 milliards d’euros en 2024 d’après les chiffres livrés par l’entreprise sur son site internet.
« L’entreprise était précédemment locataire de son bâtiment à Vitré, nous répond l’agglomération. Compte tenu des normes de sécurité à respecter et des projets de développement de l’entreprise, le site initial devenait inadapté. Dans ce contexte, l’entreprise devait réaliser un choix de relocalisation de son site de production et potentiellement quitter notre agglomération. »
Une perspective inimaginable pour les élus du secteur. Pourtant, à cette époque, Idemia, spécialiste de la biométrie et de la cryptographie, a maille à partir avec la justice.
En juillet 2017, le Parquet national financier (PNF) a ouvert une enquête « pour corruption d’agents publics à l’étranger ». La raison : l’entreprise Oberthur Technologie (devenue Idemia en 2017 suite à des rachats et fusions) a payé des intermédiaires pour obtenir le marché des cartes d’identité à puces au Bangladesh, en 2015.
La procédure du PNF prendra fin en juillet 2022 avec le versement par Idemia de près de 8 millions d’euros au Trésor public français dans le cadre d’une convention judiciaire d’intérêt public (loi Sapin II). C’est-à-dire un an après l’attribution des aides publiques de Vitré Communauté.
Déjà, en 2017, la Banque mondiale, pourvoyeur de fonds dans l’achat des cartes d’identité au Bangladesh, avait peu goûté les opérations de corruption. Idemia, alors Oberthur Technologie, avait été exclue de tous les marchés subventionnés par l’organisme international pendant deux ans et demi. Pour mettre un terme à cette sanction, la société avait conclu une transaction avec la Banque mondiale et reconnu un « comportement inapproprié ».
Vitré Communauté a, malgré cela, soutenu l’entreprise. Fidèle, depuis des décennies, à une même ligne politique visant un niveau de chômage très bas sur ce bassin de vie (3,9 % au troisième trimestre 2024 contre 7,4 % au niveau national), l’agglomération explique ses choix à Splann ! : « Le projet d’Idemia permet de maintenir et de sécuriser des emplois locaux. Il renforce le positionnement industriel de Vitré en Europe […], investissement rendu possible grâce au plan de relance national lié à la crise du Covid. »
Ce que confirme Idemia, à travers l’agence Havas, en charge de sa communication : « Cette contribution, intégrée dans un investissement global de plus de 20 millions d’euros, a permis la réalisation de ce site de production de pointe à Vitré, inauguré en octobre 2024. »
À Vitré, Idemia vise « une production annuelle de 100 millions de cartes bancaires, 25 millions de cartes SIM et 800.000 cartes clés NFC pour le secteur automobile » sur son nouveau site. L’aide de 1,2 million d’euros a permis de créer 70 emplois dans les locaux flambants neufs de Vitré. Les effectifs sont passés de 430 à 500 salariés selon les chiffres de Vitré Communauté.
En janvier 2025, Amaury de Saint-Quentin, fraîchement nommé préfet de la région Bretagne, a visité les nouveaux bâtiments de 8.000 m² et s’est dit « marqué par le niveau de savoir-faire et d’expérience », selon nos confrères du Journal de Vitré.
Et le haut fonctionnaire d’ajouter : « Des entreprises veulent recruter, mais ont des contraintes au niveau du logement. » Une problématique de pénurie de logements à laquelle les élus du bassin vitréen vont devoir s’atteler, à moins de changer de paradigme et d’accepter l’implantation d’entreprises ailleurs au nom d’un meilleur aménagement du territoire.