Suite à nos révélations sur la pollution de l’eau potable à Rostrenen, les autorités sanitaires communiquent enfin auprès du public
Juliette Cabaço Roger - 1 avril 2025
« Splann ! » dresse un bilan inédit et détaillé de l’artificialisation des sols sur les côtes bretonnes. Notre enquête révèle comment les bétonneuses passent parfois…
Jeudi 6 mars, une enquête réalisée par Nicolas Cossic pour Splann ! révélait la fermeture du captage d’eau potable de Coadernault, à Rostrenen (22), à cause d’une contamination importante aux PFAS, des polluants éternels.
Cette source alimentait les deux tiers des abonnés de Rostrenen et une partie de ceux de Plouguernével, dans les Côtes-d’Armor. Un peu plus de 2.000 personnes sont concernées. Des relevés réalisés par l’Agence de l’eau montrent des dépassements importants de la limite de qualité, depuis 2017. Pourtant, le captage n’a été fermé qu’à l’été 2024. Avant l’enquête de Splann !, la population n’en avait pas été informée.
Interpellée par notre enquête, la députée LFI de la 4e circonscription des Côtes-d’Armor, Murielle Lepvraud, a envoyé le 14 mars une lettre ouverte à l’Agence régionale de santé (ARS), ainsi qu’au préfet du département. « Je suis aujourd’hui naturellement sollicitée par des citoyens qui réclament qu’une liste des foyers touchés soit établie afin de les informer des risques auxquels ils ont été exposés, demande que je soutiens et à laquelle je vous demande de répondre », écrit-elle.
Une demande de transparence déjà exigée par le groupe local du parti Les Écologistes de Kerné Uhel. « Les habitants de notre territoire ont le droit de savoir qu’ils ont consommé de l’eau contaminée depuis au moins sept ans », abondent les élus dans un communiqué publié quelques jours après notre enquête.
« Ce n’est pas normal que nous soyons informés par la presse et non par la mairie », estime Dewi Siberil, habitant de Rostrenen. En découvrant la nouvelle, celui-ci s’est tout de suite renseigné auprès du maire pour voir si son quartier était concerné. « Le maire m’a répondu très vite, et même si ma maison n’est pas dans le périmètre affecté, c’est sûr que j’ai bu de cette eau-là, comme la plupart des gens, à l’école par exemple. C’est inquiétant d’apprendre que l’eau prétendument potable ne l’est pas vraiment. »
Une inquiétude partagée par de nombreux habitants, depuis la publication de notre enquête. « Tous les gens de Rostrenen avec qui j’ai parlé ont lu l’article, et même des gens de plus loin, de Rennes par exemple, m’ont parlé de la pollution », assure encore Dewi Siberil.
Le 8 mars, la commune de Rostrenen et le Syndicat mixte d’adduction en eau potable du Kreiz Breizh Argoat (SMAEP KBA) confirment, via un communiqué de presse, qui n’ a d’ailleurs pas été envoyé à notre rédaction, les informations révélées par l’enquête de Splann ! deux jours plus tôt. « Le SMAEP KBA a été averti de la présence de PFAS dans le captage de Coadernault par l’Agence régionale de santé (ARS Bretagne) le mardi 16 juillet 2024 en matinée, avec une valeur atteignant trois fois la limite de qualité de 0,1 µg/l », précisent-ils.
Lorsque nous avions questionné le président du syndicat, Alain Kerbiriou, il avait indiqué « ne pas savoir » si la population avait été alertée. Depuis, la commune de Rostrenen a mis à disposition de la population sur son site internet plusieurs documents concernant les polluants éternels et les détails des données qui concernent le secteur. Lundi 10 mars 2025, le maire, Guillaume Robic, a tenu une permanence pour répondre aux interrogations des habitants.
« Les craintes de la population sont légitimes. J’ai bu de cette eau aussi. J’estime être du même côté que les habitants dans cette recherche d’informations », déclarait-il à Ouest-France. Alors pourquoi ne pas avoir informé publiquement les habitants dès que l’ARS a transmis les données aux élus ? Et pourquoi l’ARS n’a pas fait ce travail elle-même ? Des questions restées sans réponse.
« Afin de protéger immédiatement les consommatrices et consommateurs, les trois structures ont conjointement […] décidé de la fermeture totale du captage », martèle le communiqué qui rappelle également qu’une étude a été confiée au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). « Ces résultats sont attendus pour le printemps 2025 et doivent faire l’objet d’une communication auprès du grand public, comme initialement prévu. »
L’attente de ces résultats, c’est aussi l’argument avancé par l’ARS (dans un communiqué publié lundi 10 mars) pour justifier la non information des habitants.
L’agence tient à préciser qu’une directive européenne introduit les PFAS dans la liste des substances à surveiller à partir de 2026. « Par anticipation, en France, le contrôle sanitaire de l’eau assuré par les ARS se met progressivement en place d’ici à janvier 2026. » Tout en ajoutant que depuis le 19 février 2025, une nouvelle instruction est venue préciser « les mesures de gestion en termes de protection des populations » en cas de pollution pour « un retour à la conformité de l’ensemble des situations au plus tard le 12 janvier 2026 ».
« Il faut réduire les familles de polluants à leur origine, plutôt que de vouloir identifier une source unique. » Anthony Delcambre, médecin généraliste à Rostrenen, a aussi appris la contamination par la presse. Un sujet qui l’intéresse particulièrement puisqu’il fait partie du groupe santé environnement Kreizh Breizh — rattaché à la communauté de communes éponyme et au pays Cob (Centre Ouest Bretagne) — qui s’intéresse cette année aux perturbateurs endocriniens. « Cette pollution va alimenter l’ordre du jour de notre prochaine réunion, c’est sûr. L’eau qu’on boit, que ce soit en bouteille ou au robinet, est polluée. C’est la réalité dans laquelle on vit. Individuellement, il n’y a pas grand chose à faire, on est coincés. »
Le seul levier à ses yeux : la pression qu’exercent les citoyens sur les autorités publiques. « Le sujet des PFAS est très complexe et je comprends que les élus ne sachent pas vraiment comment communiquer. Mais c’est en avertissant la population qu’on alimente une prise de conscience généralisée qui va faire bouger les lignes. »