Dans Les Illusionnistes, publié cet automne, Géraldine Woessner et Erwan Seznec dénoncent les « conséquences, sous-estimées, […] parfois loufoques, mais trop souvent dramatiques », de l’écologie politique. Splann ! a lu le livre. Et décerne haut la main, le premier « Splâne d’or » aux journalistes du Point.
Géraldine Woessner est rédactrice en chef du Point et Erwan Seznec journaliste au service société de l’hebdomadaire. Classé à droite, le journal, propriété de l’homme d’affaires breton François Pinault, est régulièrement épinglé pour ses distances avec la déontologie journalistique (problèmes de vérification de sources, de contradictoire…)., comme le mentionne cet article de Mediapart.
Les deux journalistes viennent de publier Les Illusionnistes : une enquête inédite sur les dérives de l’écologie politique. Ils ne font pas mystère de leur projet. « Les écologistes, au contraire [du Rassemblement national] ne font peur à personne. […] Cette enquête vise à démontrer que c’est la raison pour laquelle l’écologie politique constitue, aujourd’hui, le courant de pensée faisant courir le plus de risques à notre pays », lit-on dès la page 9.
Le Point s’est empressé de faire la promotion des auteurs maison. L’Express et Le Télégramme leur ont chacun accordé une interview. Chez Splann !, on préfère leur décerner un « Splâne d’or ». Une distinction sous forme de nouvelle rubrique pour déconstruire les informations et discours utilisant des arguments fallacieux, des raccourcis et des approximations au service d’une idéologie.
L’essai qui cherche à pointer le manque de rigueur des écologistes est parsemé d’erreurs factuelles. On apprend (pp. 34-35) que l’association américaine The Nature Conservancy dispose en 2023 d’un budget « colossal » de 7 milliards de dollars. C’est environ 5 fois moins. Erwan Seznec affirme aussi (p. 396) que « les écologistes font partie de la majorité à la région Bretagne ». Il est pourtant aisé de vérifier que le parti de Marine Tondelier s’inscrit bien dans l’opposition.
Le livre est présenté comme une « enquête inédite ». En fait d’inédit, sont réutilisés de vieux articles du Point, comme celui sur les mégabassines publié en mars 2023 (p. 225), sur le glyphosate, publié en octobre (p. 177), ou sur le nucléaire qui date d’avril 2021 (p. 149). Le copier-coller, ça fait gagner du temps. Surtout si on choisit d’ignorer superbement, comme Erwan Seznec (p .256), le droit de réponse de Cash Investigation que Marianne avait publié après son enquête sur Élise Lucet, en 2021, et qui pointait une certaine difficulté à respecter le principe du contradictoire.
Raccourcis et experts intéressés
Splann ! relève aussi le parti pris des experts convoqués par les deux journalistes. Sur le glyphosate, ils font appel à Alexandre Baumann — en écorchant son nom au passage (p. 177) — autodidacte édité chez L’Harmattan, professionnel du référencement internet des marques. Les anciens ministres Brice Lalonde et François de Rugy sont très convaincants en vieux sages qui battent leur coulpe sur leurs errements écologistes passés. Sur la question des mégabassines (p. 228), les auteurs font témoigner Jean-François Berthoumieu, qu’ils présentent comme membre du « cluster Eau & climat », sans préciser de quelle structure il s’agit ni indiquer qu’il est surtout… salarié de l’entreprise d’irrigation Arvalis.
Les auteurs présentent (p. 225) Yves Le Quellec, le président de France Nature environnement (FNE) Vendée, comme un promoteur des mégabassines. Pourtant, sa position est bien plus nuancée sur le sujet. Dans Mediapart, en mars 2023, il déclarait : « Certains s’emparent du Sud Vendée pour en faire un exemple en disant “le stockage ne pose pas de problème”. Dire les choses comme ça, c’est une arnaque ! »
Par ailleurs, il aurait été judicieux de préciser que le FNE vient d’obtenir du tribunal administratif, en juillet 2024, des restrictions d’irrigation qui déplaisent fortement à la chambre d’agriculture de Vendée.
Enfin, l’ouvrage est un chef-d’œuvre de raccourcis.
Page 109, en une dizaine de lignes, la France est à la fois « au pied du mur », « au bord du gouffre », et « au bord de la falaise ». La concision est reine : il ne faut que trois pages aux auteurs pour démontrer, au chapitre 4, que l’écologie est « une nouvelle religion ».
Pas de détails inutiles : si le « lobby bio » est décrié tout au long de l’ouvrage, l’Association française des biotechnologies végétales (p. 215) est présentée sans préciser qu’il s’agit du lobby français des OGM. Les journalistes affirment (p. 339) que Générations futures est bien un lobby inscrit à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), tout comme Bayer et la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Mais sans détailler que les dépenses annuelles de lobbying de Bayer SAS atteignent plus de dix fois celles de l’association écologiste.Et celles de la FNSEA, plus de 30 fois.
Les auteurs se présentent comme des « écologiste(s) sincère(s) » (p. 202). Ils sont très humains. Lorsqu’Erwan Seznec revient sur son licenciement de Que Choisir, celui qui pige aussi pour Causeur l’avoue (p. 350) : « J’ai quelques difficultés à être objectif dans ce dossier ». C’est pour ça que quand il mentionne (p. 214) la tribune signée par une centaine de prix Nobel en faveur des OGM, il oublie de préciser qu’elle a reçu l’aide, en 2016, de Jay Byrne, l’ancien directeur de la communication de Monsanto. Dont Le Monde vient de révéler qu’il a depuis organisé un fichage à grande échelle de tous les « ennemis » de l’agroindustrie — et qu’on retrouve des articles du Point dans sa base de documentation.
En refermant le livre, le quatrième de couverture nous interpelle : « Il est vraiment temps de prendre l’écologie politique au sérieux ». Chiche ?
Post scriptum
L’article a été modifié le 14 novembre 2024. Le budget de l’association TNC est de 1.366.756 centaines de dollars (dépenses et achats) en 2023 soit 1.4 milliard. Ce qui fait 5 fois moins et non 5.000 fois moins que le budget évoqué dans le livre Les illusionnistes, contrairement à ce que nous avions écrit dans la première version de l’article. Les auteurs parlent « d’un budget colossal de 7 milliards de dollars » mais le budget de l’association est de 1.4 milliard de dollars. Dans le langage courant, le budget indique le total des dépenses réelles, et les actifs n’en font pas partie.