La presse agricole française contribue-t-elle aux débats qui traversent la profession en rendant compte des tensions qui existent et des différents points de vue qui s’expriment ? C’est la question qu’a examinée Prune Catoire, dans le cadre de ses travaux en sciences politiques à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, intitulés « Entre les professionnels, le professionnalisme et la profession : la presse agricole sous contraintes ».
« Nous ne sommes pas face à une presse de propagande qui relaierait des points de vue politiques », nuance d’emblée Prune Catoire après avoir observé des titres dans les six principaux groupes de presse agricole française (Réussir Agra, NGPA, Les Éditions du Boisbeaudry, Média & agriculture, Terre Écos, Les éditions Fitamant).
L’autrice relève néanmoins un « traitement de l’information très consensuel, même s’il est pointu : comme s’il s’agissait de ne froisser ni les lecteurs, ni les annonceurs, qui sont logiquement dans le même champ d’activité. Il y a ici une première difficulté selon moi ». L’autre, immédiatement soulignée par Prune Catoire, c’est le « lien étroit entre l’actionnariat de la presse agricole et le syndicat dominant (NDLR : la FNSEA) ». Se trouve notamment dans ses travaux l’exemple du magazine Réussir où au moins huit des douze personnes siégeant au directoire ou conseil de surveillance ont, ou ont eu, de hautes responsabilités dans les syndicats dominants (FNSEA, Jeunes agriculteurs).
Lecteurs, annonceurs, actionnariat : la presse agricole s’adresse à une communauté scellée par une représentation sociale ancienne qui verrait un peuple d’agriculteurs contre le reste de la société. « Une large frange des mondes agricoles se représente souvent comme une citadelle assiégée, observe Prune Catoire. Les journalistes de la presse agricole se vivent très différemment des journalistes généralistes. Ils sont dans un rôle de conseil et d’accompagnement qui produit un sentiment d’appartenance et de loyauté. D’autant qu’ils sont souvent issus de ce milieu. Ça n’enlève rien à leur compétence. Il manque juste la nécessaire mise à distance journalistique », commente l’autrice avant de préciser : « Ce n’est pas une presse qui interroge les fondamentaux ou remet en cause les modèles ».
« Parler technique donne le sentiment d’être consensuel et apolitique. Mais ces contenus rédactionnels de la presse agricole reproduisent des affirmations en réalité peu questionnées. Or, elles sont, selon moi, parfaitement questionnables, poursuit Prune Catoire. Il y a, par exemple, tout un discours sur la réussite sans remise en cause des modèles, mais par contre un traitement assez faible des sujets soulevés par la société. Comme les questions environnementales, le suicide ou l’homosexualité. Il se dessine de la sorte une homogénéisation des contenus de la presse agricole alors que, paradoxalement, elle est assez éclectique et plurielle. »