Le nouveau schéma directeur des exploitations agricoles (SDREA) breton vient d’être définitivement adopté après de longues négociations par arrêté préfectoral le 29 novembre 2023. Nous vous en parlions dans notre enquête « À l’ombre des Safer, la guerre des champs » parue en septembre : ce texte fixe les règles de l’attribution des terres agricoles. Par exemple, un agriculteur qui s’installe va être prioritaire face à un exploitant qui veut s’agrandir. Une ferme en bio passera devant un projet en conventionnel. Le document est élaboré par les services de l’État, la Région Bretagne et les représentants de la profession agricole de la région. Il est révisé tous les cinq ans.
Le credo de ce nouveau SDREA 2023 : priorité à l’installation, au bio et au pâturage afin d’éviter les agrandissements à outrance et faciliter la transmission des fermes. L’installation passe ainsi de quatrième à première position dans l’ordre des priorités. Alors que le syndicat majoritaire, la FNSEA, dénonce la « mise en péril de l’agriculture bretonne », la Confédération paysanne estime de son côté que ce nouveau SDREA « constitue une victoire pour les paysan.ne.s et les porteurs de projet. Certaines nouvelles dispositions viennent freiner la fuite en avant qu’est l’agrandissement démesuré des fermes bretonnes ».
Les règles fixées dans ce schéma directeur sont claires. Pourtant, notre enquête a montré qu’elles ne sont pas toujours appliquées, loin de là. Elles ne sont d’ailleurs mobilisées que dans un tiers des cas. À travers une multitude de témoignages, nous avons pu comprendre tout ce qui se joue hors du cadre légal… Appels téléphoniques répétés, menaces, dénigrement, intimidations, tous les coups sont permis pour éliminer un concurrent. De nombreux agriculteurs et agricultrices nous ont fait part de leur détresse, du manque de contrôle et de soutien pour s’installer.
Et même pour ceux qui respectent les règles, s’installer peut relever du parcours du combattant. En Bretagne,le cas de Karim Arab est devenu emblématique. En 2018, il obtient une autorisation d’exploiter pour démarrer un élevage de moutons en bio. Mais un autre agriculteur, qui veut lui s’installer en conventionnel, obtient aussi l’autorisation d’exploiter ces même terres et rentre dans les parcelles en premier.
Sur le papier, Karim Arab est prioritaire ; sur le terrain, c’est le Gaec de la Ruais qui exploite les champs. L’éleveur décide de saisir la justice et obtient gain de cause auprès de la cour administrative d’appel de Nantes. Le Gaec de la Ruais conteste à son tour et saisit le Conseil d’État. Le 12 décembre 2023, la plus haute juridiction administrative du pays a cassé la décision en faveur de Karim Arab et renvoyé l’affaire devant le tribunal nantais.