Dans le Finistère, les paysans au RSA dans le viseur du Département
Chloé Richard - 25 octobre 2025
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Des grand-parents qui doivent attester du présent qu’ils ont fait à leur petit-fils. C’est l’une des démarches qu’a dû faire Axelle*, demandant à ses parents de certifier que les 200 euros, versés sur son compte, étaient bel et bien un cadeau d’anniversaire pour son fils.
En plein été, la paysanne a dû passer des journées à récupérer des justificatifs et à fournir des dizaines de pages de documents au Département du Finistère, pour conserver son RSA. Malgré son activité professionnelle, toucher ce revenu de solidarité active est un droit qui lui évite de sombrer dans la pauvreté.
Intrusive, cette situation est loin d’être isolée. Justifier de chaque mouvement d’argent sur son compte bancaire, fournir « la copie intégrale de l’acte de naissance de [son] enfant », les statuts de son entreprise, la copie des relevés bancaires professionnels et personnels… Depuis plusieurs mois, le Département du Finistère, dirigé par Maël de Calan (ex-LR), multiplie les contrôles pour réduire le nombre d’allocataires RSA, comme l’a récemment documenté Libération.
Sollicité sur cette politique de contrôles, la collectivité jure que ces derniers sont réalisés « de manière aléatoire et [que] les demandes de pièces sont raisonnables, avec une antériorité courte permettant de vérifier le juste droit ».
Ainsi, selon les chiffres communiqués par le Département, en 2024, 3.015 contrôles ont été menés, entraînant 1.192 radiations, dont 547 pour absence de réponse.
Une politique qui fait écho à cette tribune, signée le 22 octobre dans Libération par un collectif d’associations, qui demande au Conseil d’État l’abrogation du décret sur les sanctions infligées aux allocataires du RSA.
Parmi ces bénéficiaires, donc, de plus en plus de paysans, faisant l’objet de contrôles et de suivis pour « un retour vers l’emploi ». « Alors même qu’on a déjà un travail ! », tempête Marc*, qui cultive des plantes aromatiques et médicinales.
Le paysan s’est même vu reproché, il y a quelques mois, de ne pas avoir déclaré son crédit d’impôt bio (CIB). Aide à l’entreprise pour les dépenses de certification biologique que le Département classait comme une ressource. « Or, il s’agit d’une créance fiscale, pas d’un revenu », rappelle l’agriculteur.
Anne*, agricultrice, a connu la même mésaventure. « On m’a aussi dit que comme mon entreprise était une EARL, selon la loi, j’étais censée me verser un Smic, alors que, dans les faits, je ne peux pas encore me payer, témoigne Anna, qui est aussi salariée. J’ai l’impression d’avoir subi un contrôle fiscal et non un contrôle RSA. »
Alerté, la Confédération paysanne, organisation classée à rouge (21 % des voix aux élections de la chambre d’agriculture du Finistère, en 2025) est intervenue pour signaler l’irrégularité de cette réclamation. Une demande, hors des clous, qui souligne « à quel point le Département cherche à tout prix à nous sortir du circuit », déplore Marc.
Là aussi, interrogé sur cette différence d’appréciation, le Département répond que « la question de la prise en charge du crédit d’impôt […] dans le calcul des ressources des bénéficiaires du RSA n’est pas explicite dans la réglementation existante ». Et la collectivité d’insister : « Ce crédit d’impôt n’a pas à être considéré comme une ressource. »
Tous les paysans interrogés par Splann ! ayant fait l’objet d’un contrôle RSA ont pour point commun de travailler sur des petites surfaces. Pour cette raison, ils ne sont pas rattachés à la Mutuelle sociale agricole (MSA) mais à le caisse d’allocations familiales (CAF), et donc au Département, pour recevoir leur allocation.
Si les agriculteurs posssédant de plus grosses exploitations peuvent aussi être bénéficiaires du RSA, les syndicats n’ont pas communiqué sur d’éventuels contrôles de la part de la MSA. Au sein de la Coordination rurale 29 (classée à droite, 34 % aux dernières élections), la question des contrôles RSA ne semble pas vraiment être un sujet. Patrick Sastre-Coader, secrétaire général au sein de l’antenne finistérienne, a transmis notre demande d’information à ses adhérents, mais il s’attend à peu de réponses.
« Les membres de notre syndicat sont, je crois, plutôt « old school » et ce serait une forme de déshonneur que de demander le RSA ou d’exprimer le fait d’être bénéficiaire de la solidarité départementale », devine l’éleveur de moutons de Dinéault, qui s’est fait connaître cet été pour ses menaces à l’endroit de la députée écologiste et potentielle future voisine Sandrine Rousseau.
De son côté, la FDSEA du Finistère (45 % aux élections, NDRL) n’a pas donné suite à nos demandes.
Animatrice au sein de l’antenne finistérienne de Solidarité paysans, association dont la mission est d’accompagner les agriculteurs en difficulté, Jacquine Gauchet constate que « sur les 80 dossiers que je gère actuellement, pas loin de la moitié concerne des agriculteurs ayant des problèmes liés à l’accès au RSA ». Selon elle, « la problématique RSA s’est exacerbée depuis la loi pour le plein-emploi ».
Entrée en vigueur en 2025, mais expérimentée dès 2024 en Finistère, cette loi, qui « porte l’ambition d’une amélioration de l’accompagnement des demandeurs d’emploi », selon le ministère du travail, prévoit notamment l’inscription à France Travail de tous les allocataires du RSA.
Dans le Finistère, elle se superpose au plan RSA lancé en 2022 et qui repose sur plusieurs « piliers » tels que « accroître le nombre et l’efficacité des dispositifs d’insertion et inciter les allocataires à les intégrer » ou encore « lutter contre le défaut de mobilisation et la fraude ».
Dans le cadre de ces dispositifs, les paysans font l’objet d’un « accompagnement » par des coachs, en vue « d’un retour à l’emploi ». Plusieurs d’entre eux expliquent ainsi à Splann ! avoir dû signer des « contrats d’engagement réciproques » avec le Département. Les allocataires du RSA doivent y promettre de réaliser des démarches en vue « d’améliorer » leur activité.
« Tous les mois, environ, je dois m’entretenir avec mon coach. C’est avec lui que je signe les contrats d’engagements, tous les trimestres. Pendant ces rendez-vous, on nous demande comment on travaille. On se retrouve à justifier de la baisse ou hausse du chiffre d’affaires, à tel moment », déplore Marc.
« J’ai une coach qui ne connaît pas du tout le milieu agricole. Elle ne me sert pas à grand-chose », ajoute Clara*, paysanne. Élise, maraîchère, a elle aussi dû aller rencontrer un coach : « Lui-même a admis que ce rendez-vous était absurde. »
*prénom d’emprunt