Saint-Nazaire, malade de ses industries

Samy Archimède, Itzel Marie Diaz - 12 septembre 2024

Les volets de l'enquête

Introduction

« Normandie », « France », « Queen Mary 2 » : depuis un siècle et demi, le destin de Saint-Nazaire (44) est intimement lié aux paquebots mythiques sortis des cales des Chantiers de l’Atlantique. Des navires de plus en plus gros qui font la fierté de la ville. Cette réussite économique est due à des milliers de salariés, dont beaucoup d’ouvriers – souvent intérimaires étrangers, embauchés par des sous-traitants — exposés à des fumées de soudage et autres substances nocives pour la santé.

Dans le sillage de la construction navale, une myriade de sociétés industrielles s’est implantée dans l’agglomération nazairienne, qui borde l’estuaire de la Loire. Sept d’entre elles, classées Seveso, produisent ou stockent des substances potentiellement dangereuses pour l’homme et l’environnement. Comme l’usine d’engrais industriels Yara, à Montoir-de-Bretagne, et la raffinerie TotalEnergies, à Donges, qui multiplient les entorses à la réglementation, faisant courir de sérieux risques à leurs salariés.

Les riverains craignent, eux aussi, pour leur santé. Les études le confirment : on meurt beaucoup plus tôt ici qu’ailleurs. Une poignée de militants associatifs remue ciel et terre pour faire la lumière sur les causes de cette faillite sanitaire. Mais les pouvoirs publics sont peu enclins à bousculer les piliers d’une économie stratégique pour l’État.

Et si l’éclaircie venait d’une alliance entre citoyens, syndicats et chercheurs ?

Vous découvrirez nos quatre volets d’enquête sous notre carte des risques de pollution dans le bassin industriel de Saint-Nazaire.

Boîte noire

Pourquoi vit-on moins longtemps que la moyenne nationale dans l’agglomération de Saint-Nazaire ? Ces dernières années, plusieurs de nos confrères (Charlie Hebdo, Le Monde Diplomatique, Les Jours) se sont heurtés au silence des pouvoirs publics en tentant de percer ce mystère. À notre tour, nous avons essayé d’y voir plus clair en rencontrant des habitants et des associations de riverains, des médecins et des chercheurs ; en interrogeant aussi la préfecture, des élus locaux ainsi que des entreprises à l’origine des pollutions industrielles.

Au cours de cette enquête menée d’octobre 2023 à septembre 2024, nous avons réalisé plus de 70 entretiens pour tenter de mesurer l’impact de la pollution industrielle sur la santé dans cette agglomération. Nous nous sommes d’abord intéressés à ceux qui sont à la fois les plus exposés et les moins médiatisés : les salariés de ces industries. Nos investigations ont porté principalement sur les Chantiers de l’Atlantique, premier employeur industriel, sur l’usine Yara et la raffinerie TotalEnergies, les deux sites Seveso les plus surveillés de l’agglomération.

Le service de la communication des Chantiers, que nous avons sollicité par courriel à trois reprises, ne nous a jamais répondu. Il ne nous a pas non plus donné accès à son « espace presse ». Quant au responsable communication de la raffinerie de Donges, il nous a poliment indiqué à deux reprises qu’il ne « donnerait pas suite » à nos demandes d’interview. Seule la direction de Yara France a accepté, par mél, de répondre à une première série de questions, mais pas à la seconde.

Nous avons également contacté, en vain, les différentes entreprises sous-traitantes mises en cause dans notre enquête.

Disposant de peu d’informations issues de ces entreprises, nous nous sommes notamment appuyés sur de nombreux témoignages et documents fournis par des syndicats et des salariés, y compris sous-traitants et intérimaires. Nombre d’entre eux ont préféré témoigner de façon anonyme afin de ne pas s’exposer à d’éventuelles sanctions de la part de leur employeur. Par ailleurs, aucun des médecins du travail – en activité ou retraité – que nous avons contactés n’a souhaité parler de son expérience dans le bassin de Saint-Nazaire.

« Ce qui est dans l’entreprise reste dans l’entreprise. On n’a pas le droit de fuiter », résume un échafaudeur qui témoigne des conditions de travail déplorables et de la pollution à l’usine Yara.

Les habitants de l’agglomération nazairienne connaîtront-ils un jour l’impact réel de la pollution industrielle sur leur santé ? La préfecture de Loire-Atlantique a accepté de répondre par mél à nos interrogations concernant l’étude de zone débutée il y a trois ans. Elle évoque les « résultats rassurants » issus des deux premières étapes de cette étude qu’elle juge « ambitieuse ». Une appréciation loin d’être partagée par les associations de riverains et par certains scientifiques impliqués dans ces travaux de recherche. Questionnée sur la mise au placard par TotalEnergies d’un rapport crucial portant sur les conséquences sanitaires d’une fuite d’essence à la raffinerie de Donges, la préfecture botte en touche. Vingt mois après cet accident lié à plusieurs défaillances du groupe pétrolier et plus d’un siècle après l’implantation des premiers dépôts d’or noir dans l’ancien village de pêcheurs, TotalEnergies confirme son excellence sur deux points : la fabrique du doute et sa mainmise sur les territoires où elle s’implante.

  • Les questions poséees au service communication des Chantiers de l'Atlantique

  • Les réponses du directeur adjoint de la DREETS Pays de la Loire

  • Les questions posées au responsable communication d'Aribus

  • Les réponses de la directrice de la communication de Yara France

  • Les questions que nous avons posées au directeur de la communication de la raffinerie TotalEnergies de Donges

  • Les questions posées à la préfecture Loire-Atlantique et sa réponse -1

  • Les questions posées à la préfecture Loire-Atlantique et sa réponse -2

  • Les questions posées à TotalEnergies

Pour aller plus loin

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Enquête réalisée par :
Samy Archimède
Itzel Marie Diaz
Accompagnement :
Juliette Cabaço Roger
Inès Léraud
Nous remercions aussi :

Denis Vannier pour la carte des risques de pollution dans le bassin industriel de Saint-Nazaire, Sten Charboneau pour la traduction en breton et Claire Simonin pour sa relecture juridique avisée.

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