• Les maires détiennent les clés de l’urbanisation et disposent des outils nécessaires pour contourner la loi et continuer de délivrer des permis de construire sur le littoral.
• Le texte de la loi littoral est parfois flou et laisse certaines définitions clés à l’interprétation des élus, favorisant ainsi l’artificialisation des sols.
• Pour autoriser de nouvelles constructions, les élus se réfèrent à l’urbanisation existante, même si celle-ci est illégale.
En 2015, un petit tremblement de terre a eu lieu sur les berges verdoyantes de l’Aber Benoît, dans le Finistère. Personne n’a rien senti ou presque. Le paysage n’a pas changé. Et pourtant. La commune de Plouvien a cédé ses quelque 19 hectares de bande côtière qui lui donnaient accès à l’Aber Benoît à sa voisine, Tréglonou. Pourquoi ? Pour ne plus être assujettie à la loi littoral, qui faisait obstacle à la construction, sur le territoire de la commune, d’une tour de séchage du groupe agroalimentaire Sill.
« 90% de la population soutenait cette décision, se souvient Christian Calvez, édile divers droite de Plouvien à l’époque. Pareil à Tréglonou qui n’avait qu’à y gagner. Personne ne comprenait que ce projet, qui devait se faire à 1 km de l’Aber Benoît, était impossible simplement parce que la commune longeait un tout petit bout de rivière, très loin de l’embouchure. Personne ne s’y est opposé. Tous les parlementaires, députés et sénateurs, de tout bord politique, ont soutenu le projet. »
Bien que validée par les services de l’État, cette démarche interroge à plus d’un titre. Le terrain cédé correspond certes, pour l’essentiel, à une mince bande de terre d’une largeur de 20 à 50 mètres, mais cela n’en revient pas moins à faire l’impasse sur la fameuse inconstructibilité de la bande des 100 mètres le long du rivage. Par la même occasion, les espaces remarquables qui se trouvent au-delà de cette bande de rivage perdent une précieuse protection. Ce que dément Christian Calvez : « Tout ce secteur est en zone naturelle inconstructible, nous n’avons jamais voulu revenir sur la protection de ces espaces. Si une municipalité à l’avenir voulait changer le PLU pour permettre des constructions, je suis sûr que le préfet ou des associations s’y opposeraient. »
Comme souvent dans ces affaires d’urbanisme, l’objectif affiché était économique. Peine perdue : malgré tout, le projet de tour de séchage atterrira à Landivisiau.
Si Christian Calvez affirme avoir plutôt voulu éliminer l’incongruité qui assujettissait sa commune à la littorale, bien des maires bâtisseurs ont la loi littoral dans le viseur. Et tentent de tirer partie de ses imprécisions. Ils n’ont pas à chercher très loin : plusieurs failles permettent de la contourner facilement. Nous en avons identifié quatre qui permettent d’établir un petit guide pratique du bétonnage sans entraves…
Première faille : donner au maire les clefs de l’urbanisme
L’urbanisme est une prérogative des communes, même si l’État conserve un rôle de contrôle de légalité. C’est le maire qui, après instruction par les services municipaux dédiés, signe les permis de construire. Via l’élaboration du schéma de cohérence territoriale (SCOT), décidé en collaboration avec les élus des autres communes du territoire, et du plan local d’urbanisme (PLU) qui en découle, c’est également le maire qui décide de la constructibilité d’une parcelle.
Il dispose pour cela d’un outil très puissant : le zonage. C’est-à-dire le découpage du territoire de la commune en plusieurs secteurs, au sein desquels la construction est soit autorisée (avec certaines contraintes architecturales), soit limitée, soit carrément interdite.
Prenons l’exemple de la plus emblématique des restrictions imposées par la loi littoral : l’interdiction — en dehors des espaces urbanisés — de bâtir à moins de 100 mètres de la « limite haute du rivage ». C’est-à-dire, non pas le trait de côte, mais le niveau atteint par la marée la plus haute, au plus gros coefficient de marée possible. Une interdiction qui ne tient pas simplement à la protection du littoral, mais aussi à la sécurité face au recul du trait de côte et des tempêtes.
Pour contourner cette interdiction, on découvre au fil des PLU diverses astuces. Première astuce : mal zoner une parcelle. Par exemple, la commune de Plouguiel (22) a mis en place un zonage spécifique pour certaines zones naturelles, dit « NB ». Il concerne « les propriétés situées dans les espaces remarquables et non situées dans la bande de 100 mètres ». Pourtant, lorsqu’on regarde de près le plan local d’urbanisme, on s’aperçoit que six secteurs classés « NB » se trouvent bien dans la bande des 100 mètres. Contactée, la commune de Plouguiel n’a pas répondu à nos sollicitations.
Deuxième astuce : bien zoner la parcelle, mais limiter les restrictions dans le règlement écrit. En l’occurrence, dans certains PLU de la côte bretonne, certaines constructions dans la bande des 100 mètres sont autorisées. Une disposition contraire à la loi littoral, mais pas illégale tant que le PLU n’est pas invalidé par la justice.
Parmi les premiers intéressés à construire dans la zone des 100 m, on trouve les campings, bien sûr. Le littoral est ainsi truffé de zones étiquetées « loisirs » où l’on se permet parfois de franchir la ligne rouge des 100 mètres, donnant lieu à diverses transgressions ordinaires, comme des constructions sauvages de mobil-homes ou l’implantation de tentes, voire d’équipements, jusque dans la bande des 100 mètres.
Le camping de Bot Conan sur la commune de Fouesnant (29) a ainsi été condamné (ainsi que le maire de la commune) en 2014 par le tribunal administratif de Rennes. Condamnation confirmée par la cour d’appel de Nantes, pour avoir implanté des tentes dans la bande des 100 mètres…
Et c’est sans parler de la construction ou de l’élargissement de routes pour desservir campings et nouvelles constructions, légales ou non. Ainsi, toujours sur la même commune de Fouesnant, en vue d’accorder un permis de construire à deux bâtiments dans le secteur Kerlosquen, la commune a créé une voie d’accès, aménagement pourtant interdit dans la bande des 100 mètres. Le permis a finalement été invalidé par les tribunaux, et la commune a été condamnée.
Au regard de la loi, un camping ne peut jamais, par lui-même, être regardé comme une agglomération ou un village existant et sa présence n’est pas prise en compte dans le cadre de l’évaluation du « degré d’urbanisation » des zones urbanisées des communes littorales.
Cependant, un camping peut parfois donner l’illusion d’une urbanisation, notamment aux yeux du juge — qui, lorsqu’il ne peut matériellement se rendre sur place (ce qui arrive fréquemment), s’appuie sur des photos de drone ou de satellite. C’est ainsi que, dans son projet de PLUI en cours d’élaboration, la commune de Tréveneuc voudrait zoner « U » (pour « zone urbaine ») tout un camping, pourtant très proche du rivage — exactement comme si c’était le cœur de l’agglomération. Interrogée, la municipalité de Tréveneuc n’a pas souhaité nous répondre.
Deuxième faille : un texte flou et sujet à interprétation
La bande des 100 mètres mise à part, l’essentiel des dispositions de la loi littoral peut paraître assez complexe et technique. Son grand principe est décrit dans l’article L.121-8 du code de l’urbanisme : toute extension de l’urbanisation, toute nouvelle construction, doit être réalisée en continuité d’un espace urbanisé. Sauf que les notions « d’extension », « d’espace urbanisé », ou de « continuité » ne sont détaillées nulle part.
Le législateur propose les notions d’agglomération et surtout de « village », qu’il définit à la fois par la densité du bâti, le nombre de maisons et l’espace entre elles — mais sans rien préciser numériquement —, l’existence de servitudes (existe-t-il une route, un chemin, des réseaux, qui mènent au terrain à bâtir ?), et l’éventuelle présence de commerces, d’écoles ou d’églises. Faute d’avoir précisé les termes du débat, ces définitions sont donc laissées à l’appréciation des élus, contrôlés par les services préfectoraux, et, en dernier recours, par le juge.
Certaines jurisprudences font date, à cet égard. Comme celle concernant la commune de Pluneret (56), devenue définitive suite à une décision du Conseil d’État en juin 2007, qui propose le seuil d’une « quarantaine » de maisons, pour caractériser un village – mais sans lever totalement les ambiguïtés, comme celle de la densité d’urbanisation de cette quarantaine de maisons. On voit depuis fleurir une myriade de villages constructibles et extensibles dans les PLU du littoral dès lors qu’ils comptent plus de quarante maisons.
La loi portant évolution du logement de l’aménagement et du numérique (Elan) ayant prévu, en 2018, que le distinguo entre les villages et les autres hameaux se fasse au cours de l’élaboration du Scot par les élus d’un même territoire, les conseils communautaires sont le théâtre d’âpres négociations au cours desquelles « les maires s’échangent villages et hameaux », dixit Anicette Jacopin, présidente de l’Association pour l’application de la loi littoral en pays d’Auray (Allpa), évoquant des négociations entre élus pour que les hameaux de leurs communes respectives soient qualifiés de « villages ».
Pour faire bonne mesure, certains maires installent des panneaux « village » à l’entrée des hameaux ainsi requalifiés, à l’instar du maire de Plonévez-Porzay (29) à l’entrée des lieux-dits de Kervel, Trezmalaouen et Saint-Anne-la-Palud (depuis, le PLU de la commune a été annulé sur décision de justice). Contactée, la commune de Plonévez-Porzay n’a pas répondu.
De l’avis de tous les juristes spécialistes du sujet, la caractérisation de village, par opposition à un hameau ou à de l’habitat diffus, est toujours délicate et hautement subjective, ce qui en fait l’une des principales fragilités juridiques des documents d’urbanisme. L’analyse approfondie des PLU du littoral breton que nous avons mené permet d’estimer qu’au moins 40 % souffrent d’une ou plusieurs de ces fragilités juridiques.
La notion de village est pourtant centrale dans l’application de la loi littoral. Un village permet non seulement de densifier l’urbanisation, mais aussi de l’étendre. Et de grignoter ainsi peu à peu le territoire au fil des ans et des PLU.
Dans le cas des trois lieux-dits litigieux de Plonévez-Porzay, une telle extension aurait possiblement permis, à terme, que les trois taches urbaines se rencontrent, risquant alors de créer, artificiellement, une véritable petite agglomération en bord de mer. Aurait alors disparu ce qu’on appelle une « rupture d’urbanisation », c’est-à-dire la zone sans bâti ou presque entre deux secteurs urbanisés.
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Une autre faille législative concerne le tracé de la ligne frontière des « espaces proches du rivage », où les constructions devraient être plus limitées que dans le reste de la commune. Un concept, là encore, laissé assez flou par le législateur. La zone des espaces proches du rivage est déterminée par la distance au rivage, le caractère urbanisé ou non, ainsi que la « covisibilité » avec la mer.
Seulement, le tracé de cette frontière est laissé, à nouveau, à la discrétion des élus. D’où des lignes sinueuses, contournant une parcelle et pas sa voisine, se rapprochant parfois dangereusement de la bande des 100 mètres, voire excluant le rivage lui-même. L’arbitraire du tracé est confirmé par l’absence de continuité entre communes voisines.
Troisième faille : une loi faite pour réduire le mitage du territoire
« En réalité, contrairement à ce qu’on pense, plus que la limitation de l’artificialisation des sols (qui peut exister jusque dans la bande des 100 mètres), l’article L.121-8 limite le ‘’mitage’’ du territoire, analyse Laurent Le Clech* bon connaisseur des dossiers en lien avec la loi littoral, qui tient à rester anonyme. Elle sous-entend le principe de l’aménagement en profondeur. »
Dit simplement : dans les (rares) cas où on a le droit d’étendre l’urbanisation, cela doit se faire en continuité immédiate de l’existant. Et lorsqu’on a le droit de densifier l’urbanisation, cela doit se faire sans saillir hors de l’enveloppe urbaine existante. Les espaces naturels sont ainsi grignotés, en pelures d’oignon. Et quand l’urbanisation finit par cerner une zone entière, celle-ci tombe naturellement dans son escarcelle. C’est, quasi exclusivement, ainsi que se gagnent les réserves foncières d’une commune sur son PLU.
Prenez l’ancien village de pêcheurs qui borde la plage de Bétahon, à Ambon (56). Bien que situé au cœur d’un site Natura 2000, la municipalité ne cache pas sa volonté d’en étendre l’urbanisation. En bord de plage, à l’ouest du village, un vaste terrain était occupé depuis les années 1960 par un camping, qui a depuis fermé ses portes. Entre le cœur du village et le camping, quelques hectares de verdure : une zone humide, ne figurant pas sur le PLU bien que répertoriée par le schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage).
Au lieu de quoi le PLU voté en 2020 prévoit à cet endroit précis une réserve foncière. Elle soutient en outre le projet d’un éventuel repreneur du camping, qui s’est manifesté entre-temps.
Seulement, la proposition n’est pas de le garder en tant que camping, mais d’en faire un parc résidentiel de loisirs, avec des équipements dont 95 petits chalets et villas, de 44 m² à 82 m². Le parc, contrairement au camping, peut être considéré comme de l’urbanisation.
Ce projet, vanté par la municipalité comme susceptible de soutenir l’activité économique, permet donc de conquérir les quelques hectares de la zone humide — qui deviennent urbanisables d’un coup. Interrogée, la municipalité n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Dans ce dossier, la pression des associations de défense de l’environnement a fini par porter ses fruits, bien aidées par l’opposition au projet formulée par la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) du Morbihan. Les aménageurs IFI et Viabilis, qui s’étaient associés pour l’urbanisation du village, ont en effet jeté l’éponge le 9 octobre 2024. Le lendemain, la mairie a pris un arrêté de retrait du permis d’aménager — sous condition du retrait des recours contentieux engagés par les associations.
Bref, même sans avoir recours au « mitage », on pourrait potentiellement bâtir tout un territoire, parcelle après parcelle. La loi littoral en elle-même n’aurait quasiment rien à y redire. Au reste, n’est-ce pas ce qui s’est passé dans des communes comme Plouguerneau (29), Loctudy (29) ou Penmarch (29) ?
Après des décennies d’un bétonnage intensif, et néanmoins passé sous les radars, leurs PLU viennent valider après coup une urbanisation de fait, sans présenter pour autant de véritables fragilités juridiques.
Quatrième faille : ne pas donner de point de référence temporelle
C’est là le dernier grand défaut de la loi littoral : certes, elle n’autorise l’urbanisation qu’en continuité, mais en continuité de quoi ?
« Si des constructions ont été faites, qui n’auraient pas dû être autorisées : doit-on les prendre en compte ? Dans certains cas, le juge refuse de le faire, relève notre témoin. Mais il arrive aussi qu’il tranche en fonction de l’état des lieux le jour du jugement. Auquel cas, on peut très bien avoir ajouté une poignée de maisons, puis une autre quelques années plus tard, et ainsi de suite. Le juge, qui n’aura pas nécessairement accès à l’historique, n’y verra que du feu. Jusqu’à ce que se constitue ainsi une véritable agglomération. La question est donc d’importance : par rapport à quelle situation doit-on juger la limitation de l’urbanisation ? Dans l’esprit de la loi littoral, on pourrait considérer que le juge devrait juger en fonction d’un point de référence fixé à la date d’entrée en vigueur de la loi, c’est-à-dire 1986. »
Même à l’échelle d’une unique construction, la question du point de référence se pose. Si, par exemple, un propriétaire veut réaliser une extension sur un bâtiment, les PLU l’autorisent généralement dans les limites d’un pourcentage de l’existant — en précisant : « à la date d’approbation dudit PLU ».
Potentiellement, un PLU ayant une durée de vie d’environ dix à quinze ans, on pourrait agrandir une construction à l’infini ou presque — il suffit d’attendre le nouveau PLU pour réaliser un nouvel agrandissement.
Au reste, l’analyse des PLU dans leurs versions successives permet de mettre au jour les intentions d’urbanisation à long terme : certes, on ne fait pas de « mitage », on s’inscrit toujours en continuité de l’urbanisation existante, mais, de PLU en PLU, l’urbanisation existante est de plus en plus importante.
Lorsque la nécessité d’élaborer un nouveau PLU se fait jour dans une commune, certains élus sont ainsi tentés d’encourager leurs administrés, auxquels ils ont accordé un permis, à ouvrir au plus vite leurs chantiers, si ce n’était déjà fait. C’est ce qu’a fait l’ancien maire de Plobalannec-Lesconil (29) en 2014, prévenant par courrier officiel un propriétaire de parcelle de sa commune d’un éventuel changement de la constructibilité qui pourrait l’affecter, en lien avec la loi littoral.
À la date d’envoi du courrier, la parcelle de son destinataire était vide, de même que ses deux voisines. En mai 2016, les deux voisines étaient construites et le chantier était ouvert sur la parcelle concernée. La parcelle est aujourd’hui construite, dans laquelle cette maison d’architecture moderne détonne pourtant. Ce courrier d’encouragement paraît en vérité plus destiné à élargir l’emprise urbaine de ce petit groupement d’une vingtaine de maisons qu’à veiller aux intérêts de son destinataire. Ce secteur fait du reste partie des nombreuses fragilités juridiques de ce PLU très ancien (approuvé en 2006, modifié en 2019). Alain Lucas, maire de la commune de 2008 à 2014, est décédé en 2022. Contactés, le maire actuel et son conseil municipal n’ont pas donné suite à nos demandes de précisions.
Précisons enfin que, en termes d’urbanisation, tout ce qui est pris n’est plus à prendre : lorsqu’une maison a été construite, le juge n’ordonnera quasiment jamais sa destruction — même s’il invalide son permis ou considère sa construction illégale. Un rare contre-exemple concerne une maison en bois sur la plage de Saint-Efflam à Plestin-les-Grèves, dont la construction (illégale) puis la destruction (ordonnée en 2020) a donné lieu à un bras de fer — et la parcelle n’a à ce jour pas encore été « rendue à son état d’origine », comme l’exige le jugement, même si la maison a bien été détruite.
Dans la majorité des cas, en revanche, le bâti demeurera — et on peut alors continuer à rajouter tout autour de nouvelles couches d’urbanisation, quand bien même la précédente a été jugée illégale.
* Les noms et prénoms ont été modifiés.
Comment l’État détricote la loi littoral
Promulguée en janvier 1986, la « loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral » fait suite à la « directive d’Ornano » de 1979, laquelle en traçait les grandes lignes — notamment concernant l’interdiction de construction dans la bande des 100 mètres du rivage. Elle s’applique à toutes les communes de bord de mer, mais aussi bordant les plans d’eau les plus vastes, ainsi que les fleuves, jusqu’à la limite de remontée de l’eau salée. Elle comprend quatre volets, qui ont tous trait, de près ou de loin, à l’urbanisme : encourager l’innovation (recherche), assurer la pérennité de l’économie aquatique (pêche, transports maritimes, etc.), ainsi que celle de l’économie non aquatique (activités agricoles, industrie, tourisme, etc.), protéger, enfin, et mettre en valeur l’environnement — à commencer par les espaces remarquables du littoral.
Chaque nouvelle loi d’urbanisme donne lieu à un toilettage de la loi littoral. La loi Elan lui porte un énième coup de canif. Non seulement le texte impose aux élus d’identifier eux-mêmes les villages et agglomérations, mais il introduit un nouveau concept : celui de « secteur déjà urbanisé » (SDU), hors des espaces proches du rivage.
Intensifier l’urbanisation en comblant les « dents creuses »
Nouveauté dans le mille-feuille urbanistique, le SDU ne doit pas être confondu avec les « espaces déjà urbanisés » dont parlait déjà la Loi Littoral. La disposition a été introduite dans la loi par un amendement porté par Mickaël Nogal, porte-parole de La république en marche, et Hervé Pellois, député (LRM) du Morbihan à l’époque.
Avec les SDU, la loi Elan permet de combler les « dents creuses », et de densifier l’urbanisation. « Alors qu’auparavant, le juge considérait un lieu-dit comme un village lorsqu’il regroupait au moins une quarantaine de maisons, les SDU abaissent ce seuil à une vingtaine de maisons, déplore Vincent Esnault, président de l’Association de Sauvegarde du Pays Fouesnantais. La loi Elan était censée désengorger les tribunaux : elle va au contraire nous amener à rejuger des affaires que l’on croyait classée. »
« C’était prévisible, analyse Gwendal Vasseur*, fonctionnaire au ministère de la Transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. On aurait pu profiter de cette loi Elan pour clarifier les interprétations du texte, donner une vision globale de la loi, et garantir la sécurité juridique des documents d’urbanisme. Des représentants de DDTM ont d’ailleurs été conviés à Paris pour y travailler, éveillant beaucoup d’espoir, pour les élus comme pour les associations. Mais la loi a été retravaillée ensuite pour aboutir à des compromis qui n’ont contenté personne. Résultat : un texte très mal rédigé, qui reste totalement ouvert à interprétation. Les élus, notamment sur les communes des iles, se sont sentis d’autant plus floués que le principe de comblement des dents creuses dans les SDU ne s’applique pas dans les espaces proches des rivages. »
« La loi exige en outre des conditions très contraignantes pour définir un SDU, abonde Laurent Le Clech*, qui a une connaissance intime de dossiers ayant trait à la loi littoral. En comparaison, qualifier un hameau le »village » est plus simple. Et l’on observe ces dernières années une nouvelle mode dans les PLU : la multiplication des simples »villages », beaucoup plus souple à définir juridique, et notamment dans les espaces proches du rivage où les SDU sont interdits ! »
BOITE NOIRE
Cette enquête repose sur l’exploitation de nombreuses bases de données, traitées dans leur version brute par Splann ! : permis de construire, documents d’urbanisme, recensements Insee, BD Topo, transactions foncières, données brutes du Cerema… Cette approche permet d’offrir une vision très détaillée de l’évolution du littoral, au bâtiment près, tout en faisant ressortir des chiffres inédits sur l’ensemble du littoral breton.
Les documents d’urbanisme
Le zonage d’urbanisme que nous avons observé est extrait du Géoportail de l’urbanisme. Cette plateforme en accès libre regroupe les PLU, PLUI ou Cartes communales en vigueur, couvrant 370 communes littorales et rétro-littorales soit 88 % du territoire (67 communes dépendent du RNU ou n’ont pas mis à disposition leur documents d’urbanisme sous forme numérique). Dans certains cas, le Géoportail n’est pas à jour (souvent parce que les communes n’y ont pas téléchargé leurs documents d’urbanisme), auquel cas, nous nous sommes appuyés sur les documents présents sur leurs sites internet – quand ils existent.
Nous avons analysé en profondeur tous les PLU du littoral breton (Bretagne administrative) en vigueur à la date du 1ᵉʳ mai 2024. Nous appuyant sur les différents fascicules du « Référentiel Loi littoral » compilé par la Région Bretagne à partir de toute la jurisprudence, l’étude des règlements graphiques et écrits, comparés à l’urbanisation constatée des communes, nous a permis d’établir des listes des fragilités juridiques de ces documents d’urbanisme. Les dossiers constitués aux fins des enquêtes publiques après arrêté de ces documents et en vue de leur approbation ont été particulièrement riches d’enseignements, en ce qu’ils consignent tous les avis des Personnes Publiques associées (services de l’État, chambre d’agriculture, associations de protection de l’environnement, etc.) sur leurs potentielles irrégularités, faiblesses ou incohérences. Nous avons complété ce travail par la consultation des décisions de justice.
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