Dans les Côtes-d’Armor, Imerys mine la démocratie locale

22 novembre 2024
Morgan Large
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À Glomel, dans le sud des Côtes-d’Armor, la multinationale Imerys a patiemment étendu son influence et tenté de se construire localement une image positive, pour mieux faire accepter sa mine d’andalousite et son extension aux habitants. Mais la façade commence à se craqueler sous le coup d’une forte opposition.
  • Le soutien à Imerys est un enjeu fort des élections municipales et une source de tensions au sein de la population, divisée entre ceux qui défendent les emplois et ceux qui s’opposent aux nuisances de la mine.
  • La multinationale soutient les associations locales — notamment l’association environnementale qui gère la réserve naturelle régionale de Glomel — et prétend abonder de manière significative aux budgets des collectivités locales.
  • Propriétaire de 565 hectares, soit 10 % de la surface agricole utile de la commune, Imerys loue, ou met à disposition, la moitié de ses terres aux agriculteurs. Un moyen de pression potentiel.

Trois militaires en treillis de camouflage sont campés devant la salle des fêtes de Glomel (22), en ce dimanche matin de septembre 2022. Gilet pare-balle, arme sur la hanche et pistolet mitrailleur en main, ils font partie du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG), une unité spéciale, chargée de lutter contre la délinquance de voie publique.

Ce déploiement, exceptionnel pour la petite commune costarmoricaine de 1.400 habitants, a de quoi intimider la vingtaine de citoyens présents qui s’apprêtent à entamer une randonnée vers les hauteurs de Glomel, pour découvrir l’emprise d’une mine d’andalousite sur le paysage. Exploité par la multinationale Imerys, le site s’étend sur 260 hectares et est autorisé à extraire 1,5 million de tonnes de roches brutes par an.

Quelques jours plus tôt, Imerys Glomel a annoncé vouloir étendre son exploitation, c’est-à-dire creuser une nouvelle fosse.

Deux ans plus tard, le 21 octobre 2024. La commune se réveille, couverte de tags :  « Imerys dégage », « Corruption », et un « IMAIRYS » inscrit en lettres rouges énormes sur la façade en granite de la mairie de Glomel, pointant la proximité supposée de la municipalité avec la multinationale. Une plainte a d’ailleurs été déposée par la mairie pour diffamation et dégradation de biens publics.

Dans les jours précédents, le transformateur électrique dédié à la carrière a subi deux tentatives d’incendie. Résultat : la mine attire tous les regards, alors qu’elle a plutôt l’habitude de jouer le jeu de la discrétion.

Il est impossible en effet, lorsqu’on circule sur les petites routes du Centre Bretagne, de savoir que s’y trouve une mine géante à ciel ouvert. Le bocage est dense, et des collines boisées cachent les cavités d’extraction.

Un pont routier enjambe bien le site, mais il est équipé de panneaux occultants qui ne laissent quasiment rien voir, comme si nous étions en présence d’une base militaire.

Jeux d’influence à la mairie

La multinationale avait pourtant fait un parcours sans faute pour garantir son extension et le creusement d’une nouvelle fosse, en premier lieu en tentant de s’assurer le soutien de la mairie.

Une proximité qui se serait exprimée sans détour un soir d’élections municipales en septembre 2023 sur le parvis de la salle des fêtes. Un habitant affirme que la directrice de la carrière Imerys, Christelle Planque, exultait au téléphone. « C’est bon ils ont la mairie ! » Christelle Planque parle de Bernard Trubuilt et de ses colistiers qui l’emportent face à Jean-Yves Jégo, le fondateur de l’association Douar Bev, une association née de l’opposition à l’ouverture d’une nouvelle fosse sur le site d’exploitation d’andalousite, cosignataire d’une pétition qui a recueilli 6.620 signatures.

Nous sommes à la sortie du dépouillement des élections municipales anticipées. Un scrutin tout à fait inédit pour Glomel, puisqu’il est intervenu à mi-mandat et à la demande du sous-préfet. Le maire élu en 2020, Thierry Troël, est un agriculteur bio et un ancien conseiller régional socialiste. Trois ans plus tard, les conflits et les démissions se sont multipliés au sein de son équipe municipale. À tel point que, faute de quorum, le sous- préfet a ordonné comme c’est la loi, par arrêté, que se tiennent des élections anticipées en septembre 2023.

Quel a été le boute-feu de cette désintégration au sein du conseil municipal ?

« Le dossier de la nouvelle fosse Imerys », d’après Thierry Troël. Contrairement à ses prédécesseurs qui ont témoigné un fidèle soutien à Imerys, lui a osé interroger la pertinence de cette extraction d’andalousite. Un questionnement auquel la multinationale n’est pas habituée et qui déclenche, selon lui, « les tractations contre moi et les démissions successives au sein du conseil municipal ».

La directrice de la mine a de quoi se réjouir du résultat de ces nouvelles élections. La victoire d’un maire favorable à l’exploitation minière à Glomel assure les coudées franches à Imerys au niveau local.

D’ailleurs l’un des premiers votes du nouveau conseil municipal donne un avis favorable à l’extension de la mine. Questionné à ce sujet lors d’un entretien, le nouveau maire Bernard Trubuilt, avoue ne pas avoir lu l’enquête publique (3.000 pages). « Les nouveaux élus ont été invités à visiter la mine et on nous a très bien expliqué lors de la visite », indique-t-il. Fils d’un ouvrier de la mine, c’est d’ailleurs, à 69 ans, la première fois qu’il y entrait.

« Tous les salariés sont inquiets. Si la demande d’extension est refusée, l’exploitation s’arrêtera en 2037. »

— Des salariés d’Imerys ,

Imerys entreprise pourvoyeuse d’emplois

Pour favoriser son acceptabilité, Imerys Glomel a mis en place une communication efficace. L’entreprise revendique 120 salariés. En fait, seuls 91 titulaires travaillent à la mine de Glomel, qui fonctionne en horaires décalés sur le principe des trois-huit. Ils sont épaulés par une vingtaine d’intérimaires. D’ailleurs l’ouverture d’une nouvelle fosse ne créera aucun emploi, dans cette entreprise où tout est automatisé.

Interrogés, les salariés manifestent un attachement sincère à leur emploi. « C’est notre métier, on aime bien en vivre, on est des passionnés, et bien sûr qu’il y a de l’inquiétude. Tous les salariés sont inquiets. Si la demande d’extension est refusée, l’exploitation s’arrêtera en 2037 », déclarent-ils en mai 2023 lors d’une interview, donnée sur la radio locale RKB.

On sent aussi sur le territoire une forme de reconnaissance envers Imerys en tant qu’employeur. Pour certains la carrière a sorti un père de famille nombreuse de l’alcoolisme et du chômage, pour d’autres, elle a donné un emploi à un fils, une fille, dans une zone où le travail à la chaîne est prépondérant.

Quoi qu’il en soit l’extension d’une carrière, considérée comme installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) est soumise à une demande d’autorisation environnementale auprès des services de l’État et à une enquête publique.

L’enquête publique a eu lieu à l’automne 2023. Selon le décompte de la commissaire enquêtrice, elle a recueilli 428 observations, dont 269 favorables. Parmi ces avis favorables, 109 émanent des salariés de la mine et leurs familles, les salariés de Glomel, mais aussi des salariés d’Imerys France, à des postes à responsabilité, dont le directeur des opérations d’Imerys, Philippe d’Agier. Déposent aussi en faveur de l’extension, neuf géologues travaillant à Imerys ou pour des bureaux d’études et 23 entreprises sous-traitantes. Au total 40 % d’avis favorables émanent de personnes en lien avec l’entreprise.


Un soutien aux associations locales

Dans sa communication, Imerys Glomel avance le chiffre de 25 associations « partenaires ». Un soutien qui se traduit par une participation financière au budget des amicales et clubs locaux. Certains l’appellent même avec humour la « subvention à 400 € minimum pour les associations qui la demandent ! ».

Imerys est visible partout : sur les nouveaux maillots des enfants du club de foot de Rostrenen, sur la banderole que déploie le club de badminton lors des matchs, sur leurs affiches des comités des fêtes.

Sur une page Facebook de soutien à l’extension apparue en janvier 2023 et nommée joliment « Comité de soutien à la carrière de Guerphalès », du nom du hameau où se trouve la carrière, Imerys publie des photos de visites de la carrière.

On constate que sont venus l’Université du temps libre, l’Esat, le Rotary club, mais surtout les enfants des écoles privées et publiques alentour, tous photographiés dans le godet d’énormes engins.

La mine abonde au budget des collectivités

La multinationale vante sa participation aux budgets des collectivités locales au titre de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), une taxe payée par les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 500.000 € et qui sera supprimée en 2027.

Le chiffre, présenté sur grand écran en février 2023 par Imerys au public venu nombreux assister à la présentation du projet d’ouverture d’une quatrième fosse, est de 120.000 € par an de CVAE. Sur la diapositive, ils ajoutent que cela représente 20 % des cotisations perçues par la Communauté de communes du Kreiz Breizh (CCKB) en 2022. Mais ni le maire, ni la présidente de la collectivité ne sont en mesure de déterminer la part des taxes versées par Imerys Glomel à leur budget. La dotation est globale et non-détaillée.

Contactée par Splann !, la Direction générale des finances publiques (DGFIP) qui collecte cette taxe, nous a indiqué que ces informations ne sont pas publiques. Interrogée, la présidente de la Communauté de communes, Sandra Le Nouvel, paraît surprise. « Ces chiffres ne sont pas justes. Nous avons perçu, en 2022, 650.000 € venant du reversement de la CVAE. En effet seuls 53 % de la CVAE reviennent à la communauté de communes. » Soit 63.600 € des 120.000 € versés par Imerys. Ce qui équivaudrait à 10 % de la CVAE perçue par la CCKB.

Par ailleurs, selon le rapport de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locale, « les entreprises paient un tiers de la fiscalité perçue par les collectivités, le reste étant réparti entre ménages et administrations publiques ».

Imerys et l’association qui gère la réserve naturelle, main dans la main 

La multinationale tisse des liens encore plus étroits avec un autre acteur qui constitue un levier très important pour la communication verte du groupe : l’Association de mise en valeur des sites naturels de Glomel (AMV) qui gère la réserve naturelle régionale des landes et marais de Glomel.

Pouvoir mentionner une association environnementale locale comme garante du respect de l’environnement au sein de la carrière n’a pas de prix. On retrouve son logo sur de nombreux documents de communication d’Imerys Glomel.

En plus d’un mécénat d’Imerys au budget de l’association environnementale à hauteur de 10.000 € c’est à dire cinq fois la subvention de la commune, la mine et l’AMV ont noué un partenariat notamment sur deux missions : surveiller le faucon pèlerin et le grand corbeau nichant sur les anciens fronts de taille de la carrière ; et comptabiliser l’évolution de la population des reptiles et amphibiens. Elle a également été missionnée pour effectuer les mesures compensatoires de la mine.

En effet, quand Imerys s’agrandit, elle détruit des zones humides, des haies. Elle a alors l’obligation de compenser ces destructions en réhabilitant. C’est ce que préconise la séquence « éviter, réduire, compenser » associée à chaque grand projet. L’AMV a perçu de l’argent de la mine pour effectuer des travaux sur des espaces sensibles de la commune. C’est un « deal gagnant/gagnant », déclare son président, Yvon Le Méhauté.

« Les mesures compensatoires sont en train de pourrir les associations environnementales ! », d’après une riveraine qui a travaillé dans le domaine de l’environnement, arguant que les mesures compensatoires valident un droit à détruire la nature, et que la compensation n’est qu’une compensation, et ne couvre jamais la réelle dette écologique laissée par la dégradation.

« Les mesures compensatoires sont en train de pourrir les associations environnementales ! »

— Une riveraine ,

Accaparement des terres ?

Imerys s’insinue partout : dans des associations, jusque dans les textes des chansons de Jean-Daniel Bourdonnay, l’apiculteur de la commune qui est aussi auteur-compositeur-interprète. En octobre dernier, il donne un concert et fredonne d’une voix douce, en breton, une chanson de sa composition, Moustrougan, du nom d’un lieu-dit proche de la mine. « Dindañ reier ha traezhenn eo bet douaret ma vilajenn » (Sous les roches et le sable, a été enterré mon village).

Imerys a acheté beaucoup de foncier à Glomel. Et sur certaines terres leur appartenant, les maisons, les hangars, les étables, ont été détruits ou laissés à l’abandon.

Rien ne semble impossible pour Imerys à Glomel afin de faciliter son exploitation : détourner des routes, faire disparaître un hameau, dévier des dizaines de milliers de m³ d’eau d’un bassin versant vers un autre, bouger des lignes électriques, des lignes téléphoniques, des conduites d’eau, changer des champs de plusieurs hectares en montagne de déchets dont l’altitude peut atteindre le niveau des points culminants environnants.


L’entreprise détient aujourd’hui en propriété 565 hectares soit plus de 10 % de la surface agricole de la commune, et tente de continuer les achats de terres agricoles, même sur des surfaces dont le sous-sol ne recèle pas d’andalousite.

En octobre 2023, la mine a ainsi jeté son dévolu sur 14 hectares supplémentaires en proposant au vendeur un prix très au-dessus du marché. La mobilisation locale et l’intervention du syndicat agricole la Confédération paysanne ont mis un terme à la transaction.

Près de la moitié des terres d’Imerys, soit 250 hectares, ne sont pas directement utiles à la mine. L’entreprise les met à disposition ou les loue aux agriculteurs. Une manière de s’assurer l’appui de ceux qui cultivent ces terres ? Dans l’enquête publique, les exploitants agricoles du périmètre et certains de leurs proches ont exprimé leur soutien à l’agrandissement de la mine.

« Technique de la camisole de force »

« Nous nous battons pour que les réels problèmes soient exposés et traités, mais plus tu te débats et plus ils serrent », déclare Armelle Renaut en parlant d’Imerys. Son compagnon, Thierry Troël, exploitant agricole et ancien maire, vient de perdre 14 hectares de terres, que la mine lui louait depuis 25 ans. « On hésite à communiquer, car on se demande dans quelle mesure on ne va pas servir d’exemple, pour que les autres se taisent. » Il ajoute qu’il ne se laissera pas faire et fera valoir, en justice s’il le faut, son droit de fermage.

Selon nos sources, depuis quelques semaines, Imerys Glomel renégocierait avec les exploitants concernés les termes de ces locations précaires, qui étaient renouvelables chaque année, pour les rendre gratuites.

Est-ce un coup de pouce aux agriculteurs ? Pas vraiment. Le bail rural est très protecteur des exploitants et ne peut être rompu sauf en cas de faute, décès ou départ à la retraite du locataire ou de modification des lieux loués (changement de destination, destruction de la parcelle…).

Supprimer ces baux permettrait à Imerys d’utiliser ses terres comme elle l’entend, sans opposition juridique possible.

« On hésite à communiquer car on se demande, dans quelle mesure on ne va pas servir d’exemple, pour que les autres se taisent. »

— Thierry Troël, exploitant agricole et ancien maire ,

La division des habitants est aussi une pollution minière

« Regarde, c’est elle… » C’est ce qu’entend une riveraine membre de l’association Refrac’Terres lorsqu’elle fait ses courses à l’épicerie locale. Le climat général est détérioré et la cohésion des habitants se fissure à Glomel.

C’est la triple peine pour les riverains les plus proches de la carrière. Non seulement ils subissent des nuisances [lire « La mine d’Imerys contamine la réserve naturelle de Glomel »], qui vont en augmentant ces dernières années, mais leurs maisons sont dévaluées, et leur combat les marginalise.

Difficile pour eux d’adhérer au projet d’Imerys, d’autant que l’entreprise se sert des salariés et de la menace du chômage comme d’un bouclier.

Olivier Berger, vice-président en charge des opérations industrielles à Imerys France, le dit au micro de la radio locale RKB : « On fait des extensions de carrières parce qu’on continue à donner du travail aux gens et à exploiter le site. » Le récit des dirigeants est bien de donner à penser que s’attaquer à la carrière, c’est s’attaquer aux salariés placés en première ligne. Et que s’opposer à l’extension, c’est risquer la fermeture accélérée de la mine.

Certains riverains préfèrent maintenir la paix sociale et garder le silence. Ceux qui se manifestent en payent les conséquences.

À Glomel, la directrice de l’école publique a décliné l’invitation d’Imerys à une visite de la carrière avec ses élèves, car elle refuse que l’image des enfants de l’école serve cette communication positive. Est-ce que ce refus pourrait avoir un lien avec le fait que l’amicale laïque n’a pas reçu la subvention promise par Imerys ?

Par ailleurs, le nouveau conseil municipal a refusé la subvention de 200 € aux deux associations environnementales opposantes au projet de fosse 4, Douar Bev et Refrac’terres, car « elles mettent en danger Imerys ».

Au début de l’été, les masques tombent. Le préfet donne son accord le 20 juin 2024 pour l’extension de la carrière Imerys. Cette décision officielle signe la fin du dialogue et de la pantomime débonnaire à laquelle s’est prêtée la multinationale avec les riverains. En effet, une semaine plus tard, le comité de suivi du site de la mine se réunit et contrairement aux deux années antérieures, la directrice du site referme la porte de la salle de réunion en laissant dehors les riverains et les membres de l’association Refrac’terres. Tout n’est pas perdu, Imerys leur promet d’être conviés à des tables rondes ultérieurement.

Boite noire

Morgan Large, auteure de l’article, a été conseillère municipale d’opposition de Glomel de 2017 à 2020.


Illustrations par Aurélie Calmet

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