À Pont-Scorff, le parc animalier en concurrence avec des agriculteurs
Juliette Cabaço Roger - 24 avril 2025
« Splann ! » dresse un bilan inédit et détaillé de l’artificialisation des sols sur les côtes bretonnes. Notre enquête révèle comment les bétonneuses passent parfois…
Installé depuis les années 1970 dans le pays de Lorient (56), le zoo de Pont-Scorff est aujourd’hui devenu la société par actions simplifiée (SAS) Les Terres de Nataé, un parc animalier qui met en avant « la préservation et le bien-être animal ». Après deux redressements judiciaires, en 2019 et 2021, le site est finalement racheté, en mai de la même année, par Sébastien Musset, ancien cadre de banques et d’entreprises telles que BNP Paribas, Allianz, le Crédit Agricole ou le Crédit Mutuel Arkéa.
Mais, dans la petite commune du Morbihan, les tensions autour de cette reprise sont palpables. En cause, un projet d’extension de l’enceinte du parc sur un peu plus de six hectares de terres agricoles. « Cette extension est prévue depuis le début parce que la surface actuelle – 14 hectares – est trop petite, explique Sébastien Musset. Nous avons besoin d’agrandir pour garantir le bien-être animal. Avant le rachat du zoo, un deal avait été passé avec les propriétaires des terres afin d’envisager une extension sur le long terme. »
En effet, depuis au moins début 2023, les dirigeants de la SAS ont signé un bail avec les propriétaires voisins. Mais, faute d’autorisation d’exploiter, celui-ci est nul aux yeux de la loi. « La SAS les Terres de Nataé exploite ces parcelles agricoles […] en vertu d’un bail effectif, depuis le 1er janvier 2023, sans y avoir été autorisée au préalable. M. le préfet de région a ainsi mis en demeure la SAS de déposer un dossier de demande d’autorisation d’exploiter », détaille un courrier de la préfecture du 31 octobre 2024 que Splann ! s’est procuré.
Fort de son statut d’entreprise agricole, le parc animalier dépose donc une autorisation d’exploiter pour les parcelles en question, en septembre 2023, au titre de « l’installation secondaire de M. Bruno Le Jossec ». Ce Lorientais âgé de 61 ans, membre du conseil d’administration et du comité stratégique du parc, est directeur de la Société financière Lorient développement (SFLD), société actionnaire des Terres de Nataé.
« À mon avis, le parc animalier a régularisé son bail avec l’autorisation d’exploiter pour avoir la priorité à l’achat des terres et se prémunir d’une préemption de la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural, NDLR), estime un membre de la Confédération paysanne qui souhaite rester anonyme. Ce qui est sûr, c’est que le parc bénéficie de soutiens politiques. C’est une zone très touristique. Plusieurs agriculteurs du secteur m’ont dit être dépités parce qu’ils ont le sentiment que tout est voué à l’artificialisation. »
Averti de la disponibilité des terres, un agriculteur du secteur décide de déposer une demande d’autorisation d’exploiter, en décembre 2023, pour les mêmes parcelles que celles convoitées par le parc animalier, en vue d’agrandir son exploitation. Il y a donc concurrence, et l’affaire est renvoyée en Comité départemental d’orientation de l’agriculture (CDOA). Il s’est réuni le 23 janvier 2024.
Lorsqu’on parcourt le compte rendu de cette réunion – document que Splann ! s’est procuré – plusieurs détails retiennent l’attention. Comme nous vous l’expliquions dans notre enquête sur « La guerre des champs », le CDOA départage les candidats à l’aide du schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA). Au titre de ce document, la demande de l’agriculteur relève de la priorité 9, alors que celle des Terres de Nataé est classée en priorité 10. C’est-à-dire que l’autorisation d’exploiter devrait revenir à l’agriculteur et non au parc animalier.
C’est donc tout naturellement que les membres du CDOA votent, une première fois, à la demande de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) et donnent un avis favorable à l’agriculteur. Mais, le compte rendu fait état d’un second vote lors de cette même réunion, toujours sur proposition de la DDTM, avec une issue différente : à une voix près, le comité donne un avis favorable aux deux candidats. La préfecture confirme cette décision et délivre l’autorisation d’exploiter au parc animalier et à l’agriculteur. Ce sera donc au propriétaire des terres de décider à qui il souhaite les louer. Sachant que le parc animalier loue déjà les terres.
Que s’est-il passé ? Pourquoi y a-t-il eu deux votes ? Parmi les personnes que nous avons interrogées, aucune n’a été en mesure de nous détailler le déroulé de la réunion, même si toutes s’accordent à dire qu’il s’agit d’une situation inhabituelle. Certains évoquent des pressions politiques, d’autres des questions touristiques.
« Nous, on est obligés de voter quand l’administration nous le propose, assure l’un des membres du comité. Ensuite, on est tenus à la confidentialité des échanges. On n’est pas censés communiquer sur les votes et leurs raisons. » Les représentants des syndicats agricoles que nous avons questionnés sont, de leur côté, unanimes : les terres auraient dû revenir à l’agriculteur. Interrogée, la DDTM et la préfecture n’ont pas donné suite à nos sollicitations. De son côté, Sébastien Musset assure ne pas avoir connaissance de ce double vote.
Dans la commune, les rumeurs quant au prix des terres enflent. « Les rumeurs qui circulent sont mirobolantes ! Je proposerai au maximum deux fois plus que le prix du marché, détaille Sébastien Musset. C’est normal, vu que ces terres ne seront plus agricoles. »
Les terres convoitées par Les Terres de Nataé ne resteront a priori pas classées « agricole ».
En effet, une modification du Plan local d’urbanisme (PLU) de la commune est en cours afin de reclasser ces terres et qu’elles correspondent au zonage du parc animalier. « Le règlement du PLU cadre ainsi la vocation du périmètre, l’emprise au sol du bâti, la hauteur et les gabarits du bâti et l’imperméabilisation », peut-on lire dans l’évaluation environnementale.
« Il est à noter que ce choix de zonage réduit la surface dédiée à l’agriculture. En cas de démantèlement de l’extension du parc, la zone ne sera plus identifiée comme dédiée à l’agriculture sans évolution du document d’urbanisme », détaille encore le document. De quoi exacerber les tensions au sein du monde agricole, mais aussi du conseil municipal. À deux reprises, les élus ont voté à bulletin secret concernant l’extension du parc animalier, afin d’éviter d’éventuelles pressions.
Du côté des associations de défense de l’environnement, elles sont trois à s’opposer au projet, revendiquant la préservation de l’activité agricole locale. « Ce projet vient percuter la stratégie du zéro artificialisation nette (ZAN) et n’est pas en cohérence avec le schéma de cohérence territoriale (Scot) du pays de Lorient dont l’objectif est de limiter l’artificialisation à 304 hectares. Donc 20 hectares sur ce total, ça fait beaucoup », explique Jean-Yves Laurent de l’association Den Dour Douar. « L’un des objectifs du Scot est de défendre le parc autant que les terres agricoles », rétorque Sébastien Musset. Tous les habitants de Pont-Scorff pourront bientôt s’exprimer sur ce dossier : une enquête publique devrait démarrer avant fin 2025.