Menaces sur la CNDP : « Sans la démocratie environnementale, le boulevard pour le tout-économique serait encore plus grand »
Pierre-Yves Bulteau - 4 mars 2025
« Splann ! » dresse un bilan inédit et détaillé de l’artificialisation des sols sur les côtes bretonnes. Notre enquête révèle comment les bétonneuses passent parfois…
Plonger dans le grand bain de la démocratie environnementale, c’est nager en apnée dans les textes de loi. Se noyer même, parfois, dans les multiples modifications du périmètre d’une instance indépendante comme la CNDP. La Commission nationale du débat public, est l’héritière directe de la loi Barnier de 1995 et de la convention d’Aarhus de 1998.
Au mitan des années 2000, « la maison brûle » déjà. La France et 38 autres pays ripostent par l’inscription des « principes généraux du droit de l’environnement » dans leur constitution et le droit international. Avec, pour colonne vertébrale, « l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement ». La CNDP est chargée de garantir ce droit en France, et d’organiser des débats publics sur les grands projets ayant un impact sur l’environnement.
Deux décennies plus tard, ces trois piliers ne cessent d’être pilonnés. Juridiquement asséchés par la loi Asap de 2020 (pour accélération et simplification de l’action publique). Puis, dévitalisés par la loi Aper de 2023 (pour accélération de la production d’énergies renouvelables) et son « dispositif de dérogations et d’adaptations procédurales à la participation du public dans le cadre de la réalisation de certains projets nécessaires à la transition énergétique ».
Car, voilà bien le paradoxe. Sans la censure parlementaire du 4 décembre 2024, le coup de grâce à cette démocratie environnementale aurait été donné par celui-là même qui la constitutionnalisa dans le droit français.
Finalement renversé, l’éphémère premier ministre est reparti avec son projet de décret visant au durcissement des motifs de saisine obligatoire de la Commission nationale du débat public. Cela, au nom « de la simplification de la mise en œuvre des équipements industriels ». Un texte qui, s’il était passé, aurait amputé de 54 % le nombre de débats confiés à la CNDP.
Vice-présidente de France nature environnement, Ginette Vastel a fait les comptes pour Splann ! : « Entre 2021 et 2023, cette instance indépendante a accompagné une trentaine de projets. Autant d’occasions, dit-elle, de permettre à chacun de se faire un avis, en toute transparence, sur des aménagements industriels aux impacts directs sur son quotidien et l’environnement. »
Clothilde soutient la concertation écologique. Pas au point de témoigner à visage découvert, cependant. « En décembre, j’ai participé à l’étape finistérienne de « la mer en débat » [organisée par la CNDP, NDLR]. C’est quand même dans ce genre de rendez-vous que l’on peut entendre dire publiquement que le mauvais état de la mer est dû à l’agro-industrie ou à des problèmes d’assainissement. » La Bretonne marque une pause. « C’est vrai, aussi, que ces rendez-vous s’apparentent souvent à des mascarades où on a l’impression que tout est décidé à l’avance. »
Ce qui fait dire à nombre de chercheurs et militants que « ces instances sont des outils managériaux verticaux et inefficaces ».
Porte-parole d’Eau et rivières de Bretagne, Arnaud Clugéry note « qu’il y a très clairement une divergence entre les développeurs (industriels, État) et les conservateurs (au sens de conservation du patrimoine et du bien commun) ». Et le directeur opérationnel de l’ONG d’illustrer son propos par l’exemple de l’eau. « Voilà bien un domaine où il existe le plus grand nombre de dispositifs en faveur de la concertation et le plus grand nombre de contournements à la règle. »
Dans le maquis des études préalables et autres enquêtes publiques, Arnaud Clugéry ne compte plus « les coups de canif » donnés à la démocratie environnementale. « Je comprends cette fatigue militante qui, aujourd’hui, se transforme en colère, dit-il encore. Ils font tout bien, dans les règles. Et, quand vient le moment de trancher, on leur brandit l’argument de la simplification ou de l’enquête publique biaisée. Tout ça, jusqu’à ce que la décision finale corresponde au projet initial. »
S’accrochant à l’article 7 de la Charte de l’environnement, Ginette Vastel se bat, elle, pour que ces instances ne deviennent pas « des coquilles vides où l’on présenterait aux citoyens des projets bien ficelés, entourés du joli nœud de la concertation ». La militante n’en démord pas : « Des instances comme la CNDP sont une garantie citoyenne majeure dans les prises de décision comme la production énergétique, la décarbonation industrielle ou le traitement des déchets nucléaires. »
Pensive, Clothilde lance, en écho : « Sans ce socle citoyen commun qu’est la démocratie environnementale, le boulevard pour le tout-économique serait encore plus grand. »