Mort de Jean-René Auffray : les algues vertes ont tué, l’État devra payer
Kristen Falc'hon - 30 juin 2025
« Splann ! » dresse un bilan inédit et détaillé de l’artificialisation des sols sur les côtes bretonnes. Notre enquête révèle comment les bétonneuses passent parfois…
C’est la fin d’un combat que mène la famille Auffray depuis sa plainte en 2019. Mardi 24 juin, la cour administrative d’appel de Nantes a condamné l’État à indemniser Rosy Auffray à hauteur de 277.343 euros, de 15.000 euros pour chacun de ses enfants et de 9.000 euros pour son frère.
Pour la première fois, une juridiction française retient le lien de causalité entre le décès d’une personne et les algues vertes. Ces marées vertes, qui prolifèrent sur certaines plages bretonnes, sont liées aux nitrates, un polluant d’origine agricole.
En première instance, le 27 octobre 2022, le tribunal administratif de Rennes avait conclu que le « lien de causalité » entre la présence d’algues vertes et le décès du joggeur ne pouvait être établi, tout comme la responsabilité de l’État. Une décision au goût amer pour la famille de la victime qui avait alors fait appel.
es éléments apportés par Me Lafforgue, avocat de la famille, ont permis au rapporteur public de tirer de tout autres conclusions lors de l’audience du 5 juin. « Nous ne voyons pas, à la lecture du dossier, comment Jean-René Auffray aurait pu être intoxiqué par autre chose que par l’inhalation d’hydrogène sulfuré (H2S) », a-t-il affirmé dans son exposé des faits, prenant ainsi le contre-pied de son homologue rennais.
Les lésions aux poumons ainsi que les mesures du taux de H2S réalisées sur zone par les associations puis la sécurité civile, quelques jours plus tard, permettent donc au tribunal d’établir « une causalité directe » entre les algues et le décès de Jean-René Auffray, coureur d’ultra-trail âgé de 53 ans.
Dans sa plaidoirie, Me Lafforgue a aussi rappelé l’importance des résultats de l’autopsie réalisée sur le sanglier retrouvé mort en septembre 2024 dans la commune voisine de Morieux. Révélés en mars 2025, ils démontraient la présence d’H2S en quantité mortelle dans les poumons de l’animal, permettant d’établir un lien de causalité direct avec les algues vertes en décomposition.
Depuis la première suspicion d’une mort liée aux algues vertes, en 1989, jusqu’à la décision du tribunal de Rennes en 2023 au sujet du décès de Thierry Morfoisse – chauffeur routier transportant des algues vertes – jamais, officiellement, un lien entre un décès humain et les algues n’avait été officiellement établi. Cette décision marque donc un tournant dans ce dossier aux multiples méandres.
La responsabilité de l’État et ses « carences » dans ce dossier avaient déjà été soulignées par ce même tribunal, dès 2014, dans l’affaire de la mort du cheval de Vincent Petit. Un an plus tôt, c’est le conseil départemental des Côtes-d’Armor et quatre communes, dont celle d’Hillion, qui remportaient leur bras de fer juridique pour faire reconnaître la responsabilité de l’État dans le préjudice subi par les collectivités. Enfin, en juillet 2023 et en mars 2025, l’association Eau et rivières de Bretagne faisait condamner l’État pour son « inaction environnementale » dans le dossier des algues vertes.
Dans son exposé du 5 juin 2025, le rapporteur public a de nouveau mis en avant les « carences de l’État » dans la mise en œuvre des réglementations et dans les moyens qu’il se donne pour les faire respecter. « Cette contamination aux algues vertes n’aurait pas eu une telle ampleur s’il n’y avait pas eu de tels manquements depuis des décennies », a insisté le magistrat, pointant une « inaction fautive » dans la réglementation. Ce jour-là, aucun représentant de l’État n’a fait le déplacement pour l’entendre. Suite à la décision de la cour, la préfecture des Côtes-d’Armor a simplement fait savoir qu’elle « prenait acte » de la décision. Les autorités peuvent encore se pourvoir devant le Conseil d’État.
La responsabilité de l’État n’est toutefois reconnue qu’à hauteur de 60 %. Les magistrats ont suivi l’avis du rapporteur public, qui avait pointé lors de l’audience « l’imprudence de la victime » de se rendre « sur une zone à risque » signalée par des panneaux « à proximité immédiate » de l’embouchure. Ajoutant que les risques étaient connus de la population « notamment grâce à la presse locale ».
Deux éléments pourtant contestables : selon les informations recueillies par Splann !, le panneau de signalisation le plus proche est situé à 800 m du lieu où le corps a été retrouvé. En septembre 2024, l’association Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre a d’ailleurs fait constater par huissier que la dangerosité des algues vertes n’était toujours pas explicite sur ces panneaux qui évoquent simplement des risques d’enlisement. D’autre part, faut-il rappeler la « fabrique du doute » visant à minimiser la dangerosité des algues vertes, qui était monnaie courante dans les discours durant des années ? En août 2011, la FDSEA des Côtes-d’Armor avait organisé un match de foot en réaction à la fermeture de la plage de la commune voisine de Morieux. Son président, Didier Lucas, aujourd’hui à la tête de la chambre d’agriculture du département, affirmait alors que l’on pouvait « jouer en toute sécurité sur toutes les plages bretonnes ».
Pour Yann Auffray, fils de la victime, ce partage de responsabilité constitue « le point noir » de ce délibéré. Une décision qui n’en reste pas moins « une victoire, pour nous comme pour toutes les associations qui se sont mobilisées sur ce dossier ». Et de conclure en alertant : « C’est la fin du combat pour notre famille, mais ce n’est pas la fin du combat contre les algues vertes, il faut maintenant que l’État fasse son travail. »