Avec la montée des eaux, « le coût de l’inaction » risque de se payer cash en Bretagne
Pierre-Yves Bulteau - 31 juillet 2025
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Le sujet est aussi friable que les 1.772 km du linéaire côtier breton. D’autant plus, dans un contexte à +4°C où les scientifiques n’hésitent plus à parler d’une « méditerranéisation » de la région.
Une alarme assez forte pour réunir, dans une même salle, le conseil régional, l’Ademe, Météo France ou encore la Dreal. Au menu de cette réunion qui s’est tenue, le 22 mai dernier, à Rennes : la présentation de l’édition 2025 de l’évolution du climat en Bretagne.
Devant une poignée de journalistes, l’adjointe à la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement a reconnu « que l’on commence juste à mesurer les impacts de l’érosion du littoral ». Et Aurélie Mestres d’évaluer à « 50 milliards d’euros par an le coût de l’adaptation climatique ». « Un coût de l’inaction », que le Haut conseil breton pour le Climat juge « déjà très élevé ».
« Sur cette question, on va être clair, rebondit Ronan Pichon. On n’a pas le montant, mais on sait que cela supposera des arbitrages sur des endroits et des territoires où il faudra laisser faire la mer, rétorque le vice-président régional en charge de la biodiversité et de la planification écologique. Et d’autres où il faudra investir dans la protection de certaines activités économiques, comme les zones portuaires. »
Cette érosion du littoral concerne déjà 116 cités bretonnes, Loire-Atlantique comprise, dont l’agglomération de Lannion-Trégor communauté (LTC), depuis le 14 mars 2023, et la ville de Perros-Guirec, depuis le 15 février 2024. Établie dans la foulée de la loi Climat et Résilience de 2021, une carte répertorie les communes devant mener des « actions en matière d’urbanisme et de politique d’aménagement » pour s’adapter « aux phénomènes entraînant l’érosion du littoral ».
Un « combat, non pas contre, mais avec la nature » qu’a décidé d’enclencher, il y a de cela trois ans, LTC. Voté pour une durée de quinze ans, son plan local d’urbanisme intercommunal et habitat vise à prévenir l’effacement de 1.200 habitations et monuments de patrimoine, à l’horizon 2100.
En clair, « si de nouvelles constructions resteront possibles sur le territoire », indiquait Paul Le Bihan, lors du conseil communautaire du 22 avril 2025, cela se fera « à condition que la somme nécessaire à leur démolition soit consignée par le propriétaire, si sa sécurité n’est plus assurée », poursuit celui qui est aussi maire de Lannion.
Une « répartition des risques » entre collectivités et particuliers qui a progressivement vu un acteur majeur du jeu se retirer. Le secteur de l’assurance qui, rien que pour l’année 2022, a dû débourser 10 milliards d’euros pour la prise en charge des catastrophes naturelles. Un montant jamais atteint, depuis 1999 et les tempêtes Lothar et Martin.
Face à ce qui pourrait bien mettre collectivités et administrés dans le rouge, les élus tentent de trouver des parades pour financer leurs travaux de protection. Comme avec la taxe Gémapi, pour « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations ».
Facultatif, cet impôt local ne peut excéder le plafond légal de 40 € par an et par habitant. « Insuffisant, selon les élus interrogés par Splann !, pour protéger les ouvrages concernés, les populations et l’environnement. »
« Insuffisant aussi pour couvrir de nouvelles constructions en bord de mer », pointe Jeannick Launay qui pense immédiatement au chantier des « Terrasses de Kerduel », à Perros-Guirec.
Prévu pour une livraison au 3e trimestre 2025, ce bâtiment de onze appartements de standing se trouve dans un endroit bien connu des Perrosiens « pour ses épisodes de débordement du Kerduel et lors des grandes marées », explique la retraitée qui a découvert ce chantier, lors des ses balades quotidiennes en front de mer.
« Ce n’est pas tant ce projet, et encore moins l’envie de vivre près du littoral qui m’interroge, insiste la septuagénaire, que la délivrance d’un tel permis de construire. »
Situé dans le périmètre du plan de prévention des risques inondation et submersion marine de Perros-Guirec [plan approuvé par arrêté préfectoral du 16 avril 2025, NDLR], ce projet immobilier figure aussi sur ce document du Bureau de recherches géologiques et minières. « À partir d’une montée des eaux de 50 cm, on constate qu’une bonne partie de la rue Ernest-Renan et du rond-point de Pont-Couennec est exposée », grince la retraitée.
Qualifié « d’aléa moyen » par un spécialiste de l’immobilier des Côtes-d’Armor, ce risque devient « très haut », d’après des documents d’assurance que Splann ! a pu consulter. En substance, deux géants du secteur disent même « ne pas pouvoir donner suite à (cette) demande de devis habitation aux Terrasses de Kerduel à Pont-Couennec, car ce bien est situé dans une zone à fort risque d’inondation ».
Pas de quoi empêcher le béton de couler à l’entrée de la cité des hortensias. Dans son « dispositif de lutte contre la submersion marine », et dont Splann ! a eu accès, le promoteur des « Terrasses de Kerduel » répond « remontée de 50 cm du niveau du rez-de-chaussée ; rehaussement du muret existant, côté mer ; enrochement pour protéger la rue Ernest-Renan… »
Sollicitée, la mairie de Perros n’a pas donné suite à nos demandes.
Ni au courrier de Jeannick Launay, l’alertant pourtant sur « de possibles recours des futurs propriétaires en cas d’importants dégâts des eaux, dont les surcoûts seront forcément payés par le contribuable ».