Atlantic’eau : le syndicat d’élus, poil à gratter des autorités sanitaires, en Loire-Atlantique
Samy Archimède - 29 octobre 2025
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« Il y a François, il y a Robert, il y a Jacques… » Ce 23 septembre, lors d’un ciné-débat organisé à Machecoul-Saint-Même (44) autour du documentaire « Secrets toxiques », Gilles Ravard égrène d’une voix émue les prénoms des « copains » emportés par un cancer. Atteint lui-même d’un lymphome, cet ancien agriculteur fait partie du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest (CSVPO).
À ses côtés, Marie Thibaud, cofondatrice de Stop aux cancers de nos enfants, association créée suite à la découverte d’un cluster de cancers pédiatriques autour de Sainte-Pazanne ; et Mickaël Derangeon, vice-président d’Atlantic’eau, le syndicat qui assure, via des délégations de service public, l’approvisionnement en eau potable de 550.000 habitants (40 % de la population) dans les communes rurales de Loire-Atlantique (80 % du territoire).
Le lieu choisi pour ce ciné-débat ne doit rien au hasard : la nappe phréatique de Machecoul est fortement polluée par l’usage intensif de pesticides sur cette terre de maraîchage industriel. « Au-dessus de cette nappe, 49 pesticides différents sont utilisés et génèrent environ 400 métabolites connus (produits de dégradation de ces pesticides, NDLR) et potentiellement des milliers d’autres », s’alarme Mickaël Derangeon.
Or, selon le responsable de la qualité sanitaire et de la recherche et développement au sein du syndicat et adjoint (sans étiquette) au maire de Saint-Mars-de-Coutais, « nous sommes dans l’incapacité technique d’aller rechercher ces métabolites. Nous ne pouvons donc pas assurer la sécurité sanitaire des consommateurs. »
« C’est pour ça que nous voulons aller vers le zéro pesticide », insiste celui qui est également maître de conférence en physiologie (science qui étudie les fonctions des organes et des tissus vivants) à l’université de Nantes.
Créé en 1963, Atlantic’eau s’est engagé, depuis quelques années, dans le difficile combat de la transparence, de la dépollution et de la transformation des pratiques agricoles. Tandis que de nombreuses collectivités se battent aujourd’hui contre la pollution due au chlorure de vinyle monomère (CVM), un produit chimique présent dans certaines canalisations en PVC, « le problème a été en grande partie réglé chez nous », affirme Frédéric Millet, président du syndicat depuis juillet 2024 et maire (sans étiquette) de Guenrouët, au nord-ouest de Nantes. « Nous avons changé plus de 50 kilomètres de tuyaux en quelques années. »
Pour Atlantic’eau, le grand tournant date de 2019, lorsqu’éclate l’affaire des cancers pédiatriques autour de Sainte-Pazanne (25 enfants malades dont sept sont décédés). « On est tout de suite allés rechercher ce qu’il y avait dans l’eau et qui aurait pu être une des causes de ces maladies pédiatriques », reprend Frédéric Millet.
Avec le soutien de médias locaux et nationaux, Marie Thibaud et son collectif Stop aux cancers de nos enfants parviennent à mettre autour de la table autorités sanitaires, élus locaux et nationaux. Avant de déchanter : « On a rapidement compris que les agences de l’État étaient enfermées dans des missions qui ne leur permettaient pas d’agir pour protéger la santé de la population », se souvient la militante.
En 2020, Jean-Michel Brard, alors président d’Atlantic’eau (il est aujourd’hui député au sein du groupe Horizons & indépendants, NDLR), décide de faire du syndicat « un précurseur en matière de recherche et développement (R&D) ». Avec le soutien d’élus de tout bord : gauche, droite et écologistes. L’enjeu ? Révéler la qualité réelle de l’eau, au-delà des « analyses de l’ARS qui nous disaient que tout allait bien ».
« La problématique de l’ARS, explique Mickaël Derangeon, c’est qu’ils doivent appliquer les directives de la direction générale de la santé. Quand il n’y a pas de norme pour un polluant, ils ne savent pas gérer la situation et le délai entre la découverte d’un polluant et l’établissement d’une norme peut-être très long. »
« Et parfois, prolonge le responsable R&D d’Atlantic’eau, la vitesse d’application des consignes varie selon les ARS. Quand on a découvert en juillet 2023 le R471811 (métabolite du chlorothalonil, un fongicide interdit depuis 2020, NDLR), il y avait déjà des agences régionales qui l’avaient mis dans leur contrôle sanitaire. »
Mais pas l’agence des Pays de la Loire. Le R471811 était pourtant considéré par l’agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) comme « pertinent », c’est-à-dire susceptible d’engendrer un risque sanitaire inacceptable pour le consommateur.
Interrogée par Splann ! sur les délais d’intégration de nouvelles molécules dans son contrôle sanitaire, l’ARS Pays de la Loire précise que ce processus d’intégration est basé sur trois piliers : « la directive européenne sur l’eau », « les connaissances scientifiques et techniques disponibles » et « les campagnes analytiques de l’Anses ».
L’ARS affiche aujourd’hui, en Loire-Atlantique, une qualité de l’eau potable « 100 % conforme » pour les nitrates et les pesticides. Tout en reconnaissant une « situation dégradée des ressources en eau, impactées, pour certaines, par la présence de pesticides et de métabolites » et la « nécessité d’agir, collectivement, pour reconquérir la qualité des ressources en eau et lutter contre ces pollutions d’origine anthropique ».
Dès 2021, le comité syndical d’Atlantic’eau, composé de 58 maires et conseillers municipaux et territoriaux de sensibilités politiques différentes, a voté à l’unanimité une motion visant à mettre fin à l’utilisation des pesticides dans les aires de captage (soit 3,5 % de la surface agricole utile du département).
Plusieurs agriculteurs, membres du comité syndical, ont voté dans ce sens, assure Frédéric Millet. Selon son prédécesseur, Jean-Michel Brard, ce choix du « zéro phyto » commence à porter ses fruits. Le député et ancien maire de Pornic cite l’exemple de l’ESA métolachlore, un herbicide retrouvé en forte concentration dans les eaux de surface à partir de 2016 : « En travaillant avec les agriculteurs, on a réussi à faire quasiment disparaître cette molécule au Val Saint-Martin (captage d’eau situé à Pornic, NDLR) », se réjouit-il.
La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), dont les adhérents distribuent de l’eau à plus de 60 millions de consommateurs, salue l’action exemplaire d’Atlantic’eau. Mais elle déplore la frilosité des pouvoirs publics à imposer l’interdiction des pesticides sur les aires d’alimentation de captage : « Les préfets rechignent très majoritairement à mettre en œuvre ce type de mesures contraignantes alors qu’ils devraient accompagner les collectivités », regrette Régis Taisne, chef du département « cycle de l’eau », à la FNCCR.
Résultat : Atlantic’eau dépense des millions d’euros pour aider les agriculteurs à réduire l’usage de pesticides. Ainsi, pour protéger le tout nouveau captage de Massérac, à l’extrémité nord du département, le syndicat a mis sur la table pas moins 3,5 millions d’euros.
Autre problématique complexe : celle des polluants éternels. « Dès 2023, nous avons suivi les PFAS dans l’eau et mis en accès libre les données sur notre site internet », se félicite Mickaël Derangeon. Pour le député écologiste de Loire-Atlantique, Jean-Claude Raux (auteur, l’an dernier, d’une proposition de loi visant à interdire les pesticides de synthèse), les per- et polyfluoroalkylées (PFAS) représentent, à l’échelle nationale, « un mur d’investissement d’au moins 15 milliards d’euros ».
À partir du 1er janvier 2026, les autorités sanitaires vont devoir intégrer 20 de ces polluants, au sein d’une famille qui en compte plus de 10.000. Notamment l’acide trifluoroacétique (TFA), métabolite d’un herbicide (flufénacet), particulièrement difficile à traiter.