Yves Lae, ancien directeur de Saint-Pierre, établissement du Relecq-Kerhuon, mis en cause pour violences multiples et infractions financières
Daniel Lauret - 27 septembre 2025
« Splann ! » dresse un état des lieux de l’hôpital public en Bretagne : des cartographies exclusives et un long travail d’enquête permettent d’évaluer l’étendue des…
« Splann ! » dresse un bilan inédit et détaillé de l’artificialisation des sols sur les côtes bretonnes. Notre enquête révèle comment les bétonneuses passent parfois…
La libération de la parole continue à jeter une lumière crue sur la sombre histoire des établissements scolaires privés bretons des années 1960.
Depuis notre article, publié en mai, sur les violences physiques et sexuelles subies par des élèves du lycée Notre-Dame du Kreisker, à Saint-Pol-de-Léon, plusieurs collectifs de victimes ont vu le jour.
Une soixantaine d’anciens élèves du collège Saint-Pierre du Relecq-Kerhuon (29) – aujourd’hui appelé Saint-Jean de la Croix – ont témoigné avoir subi des violences.
Depuis la « reconnaissance médiatique » de cette affaire, cinq membres du collectif de victimes, Michel, François, Joël, Dominique et Jean-Paul, sondent les archives accessibles – celles du collège Saint-Pierre, du diocèse du Finistère et des archives départementales – pour tenter d’en savoir davantage sur les personnes qu’ils incriminent et retracer leur parcours. « Ça fait partie d’une reconstruction. On a envie de comprendre », commente Jean-Paul, la voix traversée par l’émotion.
Aidé par des archivistes « très touchées par [leur] démarche », le petit groupe a pu mettre la main sur des coupures de presse, des courriers et rapports de l’inspection de l’Éducation nationale et de la préfecture notamment, pour reconstituer, entre autres, le parcours d’Yves Lae (décédé en 2004), ancien professeur et directeur de Saint-Pierre et principal mis en cause par les anciens élèves pour des faits de violences physiques et psychologiques, dans les années 1960 et 1970.
Désigné comme le « père L. » dans les articles de presse consacrés aux violences, il apparaît qu’Yves Lae a également été l’auteur de multiples infractions légales, réglementaires et contractuelles en tant que directeur du collège Saint-Pierre. C’est ce qui ressort clairement d’un courrier du 3 mars 1971 de l’inspecteur d’académie du Finistère adressé au préfet du département. Certaines infractions ont pu assurer « une « rentabilité hors norme » au collège Saint-Pierre », estime Frédéric Bénédite, co-fondateur du collectif de victimes.
Yves Lae a par exemple modifié le système de contribution des familles, au mépris du contrat d’association entre l’établissement et l’État. Pour les frais de fonctionnement, il appliquait un tarif de 15 francs par mois et par élève dans les classes de 3e et 4e ou encore de 12 francs dans les classes de 5e et 6e, au lieu de 10 francs maximum toutes classes confondues.
L’ancien directeur a aussi modifié le mode de règlement des frais de demi-pension en le basant sur un prix de repas alors que les familles devaient s’acquitter d’une somme globale censée être plafonnée à 180 francs par trimestre. Sur l’année 1970-1971, avec un prix de repas fixé à 3,30 F, une famille devait donc débourser 198 francs par trimestre, au lieu de 180, soit 18 francs supplémentaires.
À l’époque, l’inspecteur d’académie de l’Éducation nationale avait par ailleurs relevé « plusieurs irrégularités concernant l’établissement des états de liquidation des bourses nationales ». Ainsi à Saint-Pierre, des élèves étaient comptabilisés comme boursiers alors qu’ils ne l’étaient pas, d’autres alors qu’ils avaient quitté l’établissement et d’autres encore étaient enregistrés comme boursiers au titre d’une classe… différente de celle à laquelle ils appartenaient effectivement.
À cette recension d’infractions, l’inspecteur d’académie avait ajouté que « pour le maintien de la discipline, le directeur aurait parfois recours aux châtiments corporels ». Preuve que ses méthodes anti-pédagogiques étaient connues.
La mise au jour des ces pratiques a conduit Yves Lae à être interdit d’exercer les fonctions de professeur et de directeur dans la commune du Relecq-Kerhuon par décision du conseil départemental de l’Éducation nationale, prise lors de la séance du 21 juin 1971.
Logiquement, cela aurait dû signifier la fin du parcours d’Yves Lae à Saint-Pierre. Cela n’a pourtant pas été le cas puisque son départ effectif du collège n’est intervenu que six ans plus tard, en 1977. Dans les mois qui ont suivi sa sanction, notifiée en septembre 1971, Yves Lae a continué à fréquenter le « Relecq ».
L’Inspection départementale de Brest a signalé sa présence à deux reprises en 1972, avant de découvrir, non sans surprise, dans un article du Télégramme daté du 3 décembre 1973 relatif à l’assemblée générale de l’association des parents d’élèves de Saint-Pierre, qu’Yves Lae y a non seulement participé, mais y est décrit comme le « Supérieur » de l’établissement. À ce titre, il a présenté la progression des effectifs d’élèves et même indiqué avoir dû procéder à des refus de candidatures.
Mais aux demandes de l’inspecteur départemental pour mettre fin à cette situation, l’inspection académique rappelle, le 20 décembre 1973, qu’Yves Lae n’étant plus directeur ni enseignant, « nous ne pouvons lui faire interdire d’assurer les fonctions de « supérieur ». Le contrôle de celles-ci échappent en effet à notre compétence. »
D’incompétent, l’État va ensuite se muer en absoluteur. Grâce à la loi d’amnistie adoptée en 1974, la sanction d’interdiction d’exercer d’Yves Lae dans la commune du Relecq-Kerhuon a été purement et simplement annulée. C’est ce qui ressort d’un courrier du directeur des collèges de l’époque, Henri Le Gallo, adressé à l’inspecteur de l’académie de Rennes.
Le directeur des collèges explique en effet que les « faits reprochés à M. Lae, bien que certains, tels que les châtiments corporels, soient sévèrement punis dans l’enseignement public, ne me paraissent pas constituer des manquements à la probité, aux bonnes mœurs ou à l’honneur ni avoir mis en danger la sécurité des personnes ».
Surtout, aucune mention n’est faite dans ce courrier des multiples infractions commises par Yves Lae au bénéfice des finances du collège Saint-Pierre. Une omission qui interroge, tant ces faits pourraient justement relever, a minima, des manquements à la probité.
D’autres documents récupérés par le collectif de victimes de Saint-Pierre du Relecq-Kerhuon sur le parcours d’Yves Lae viennent appuyer le sentiment d’une complaisance des autorités à son égard. Il y a d’abord ces rapports d’inspection particulièrement sévères concernant Yves Lae qui ne l’ont pas du tout empêché d’obtenir plusieurs agréments dont un définitif en 1965 pour exercer en tant qu’enseignant et directeur de Saint-Pierre.
L’appréciation d’ensemble du rapport d’inspection datant du 25 janvier 1963 établit pourtant que « la qualité déplorable du travail fourni par le directeur de l’école privée des garçons de Le Relecq-Kerhuon est incompatible avec sa mission d’éducateur. Les leçons ne sont ni consciencieusement préparées, ni présentées de façon éducative. Aucun travail n’est contrôlé. Je déplore l’influence exercée par ce maître sur ses élèves et j’estime qu’il serait inadmissible de lui accorder l’agrément. »
Ce qui ne semble pas « inadmissible », en revanche, c’est la volonté du sénateur du Finistère, Georges Lombard, de récompenser un tel parcours.
Dans un échange de courriers datant d’octobre 1982 (et retranscrits par l’équipe de Jean-Paul), ce dernier écrit au directeur diocésain de l’enseignement catholique, le Frère Kerdoncuff, pour lui demander s’il est d’accord pour proposer Yves Lae (Yvon dans le courrier) aux palmes académiques, soit l’une des plus hautes distinctions de l’Éducation nationale.
Le Frère Kerdoncuff répond favorablement, indiquant notamment que « son amour des adolescents, sa disponibilité, sa pédagogie, ont permis à des générations d’élèves de trouver maturité et de nouvelles motivations pour des études ou une formation professionnelle ultérieure. » Ce portrait laudateur n’a pas suffi : Yves Lae n’a finalement pas reçu les Palmes.
Interrogés par Splann ! à propos du parcours de M. Lae, Monseigneur Dognin, évêque de Quimper et Léon, ainsi que M. Christophe Geffard, directeur de l’Enseignement catholique du Finistère, n’ont pas répondu précisément à nos questions car, estiment-ils, « elles relèvent de l’enquête judiciaire en cours. Mais, assurent-ils, les interrogations que vous soulevez sont aussi les nôtres, et nous souhaitons obtenir des réponses claires grâce au travail de la Justice ».
Également contactés par Splann !, les services de l’Éducation nationale n’ont pas répondu à nos questions, ni même accusé réception de notre sollicitation, et ce, malgré relance.