Le préfet du Finistère n’aurait pas dû autoriser l’extension de la porcherie Avel Vor, à Landunvez, commune littorale située près de Brest, dans le Léon. L’une des plus grandes usines à cochons de France déclarait émettre 39 tonnes d’ammoniac en 2019, à 300 m des habitations. La justice administrative a donné par deux fois raison aux défenseurs de l’environnement. Pourtant, Philippe Bizien, président de la coopérative Evel’Up et du Comité régional porcin, peut toujours y produire 26.000 porcs par an.
Le dirigeant d’Avel Vor, Philippe Bizien, et l’ex-préfet du Finistère, Pascal Lelarge, subissent un nouveau revers. L’extension de la porcherie industrielle de Landunvez (29) n’aurait pas dû être autorisée. La cour administrative d’appel de Nantes l’a confirmé aujourd’hui.
Landunvez, commune littorale située à 27 km au nord-ouest de Brest, compte 1.500 habitants et un élevage qui produit 27.000 porcs charcutiers par an, représentant 18.400 m³ de lisier contenant 92 t d’azote et 45 t de phosphore (avis MRAe Bretagne).
La SARL Avel Vor déclarait 39 tonnes d’ammoniac en 2019, sur l’un des territoires bretons qui concentre le plus d’élevages intensifs et donc le plus d’émissions : le Léon.
C’est l’un des plus gros points du secteur sur la carte des émissions d’ammoniac réalisée par Splann ! en juin 2021.
Le cas de Landunvez figure d’ailleurs en bonne place dans l’enquête de Splann !, parmi les exemples d’infrastructures agricoles nuisibles à l’environnement… et autorisés par les autorités.
Sans refaire tout l’historique de ce feuilleton administratif, rappelons que le préfet a autorisé l’extension en 2016, en dépit d’un avis défavorable du commissaire enquêteur et des lacunes de l’étude d’impact épinglées par l’Autorité environnementale.
La MRAe Bretagne a rendu un nouvel avis en février 2021, suite à l’annulation de l’autorisation d’extension par le tribunal en 2019, sachant que les nouvelles installations fonctionnent depuis 2017. Car l’exploitant demandait une régularisation. Vous suivez ?
L’élevage comporte trois sites, dont le plus important, Kervizinic, se situe « à proximité immédiate du bourg de Landunvez ». On distingue ici un complexe sportif, une école et des habitations se situant à moins de 300 m des installations.
Kervizinic est longé par le ruisseau de Landunvez. Les deux autres sites et les parcelles d’épandage appartiennent au bassin versant de Ploudalmezeau.
Cet été, la plage du Château à Landunvez a été interdite à la baignade et le port de Ploudalmezeau recouvert d’algues vertes.
Travail bâclé ou volonté de rendre la lecture du dossier indigeste ? On devine que le bureau d’études d’Avel Vor n’a pas facilité la tâche de l’Autorité environnementale. Difficile de croire à l’amateurisme en sachant que Philippe Bizien préside la puissante coopérative Evel Up.
Surtout, le dossier de 500 pages reste lacunaire. Par exemple, il ne comporte pas de description de la situation antérieure à l’extension de l’exploitation.
Quant aux résultats du prétendu suivi des incidences négatives pour l’environnement, c’est le néant !
Concernant l’ammoniac, les techniques de réduction n’empêchent pas l’émission annuelle de 33 t « non maîtrisables vers l’atmosphère ».
La société reconnaît que 6,6 t/an retombent dans un rayon de 1 km, incluant donc des habitations et une école. Hors effet de cumul !
« Graphiques difficilement interprétables », affirmations non étayées concernant le suivi de la biodiversité, impacts de la traversée d’une zone humide « pas analysées », analyse du risque de pollution accidentelle à développer… Les reproches continuent encore sur quatre pages.
Je viens de vous parler du dernier avis, qui a moins d’un an, de l’Autorité environnementale. Il répond à la demande de régularisation de l’extension.
Extension qui n’aurait pas dû être accordée au regard de l’avis de 2015 de l’Autorité environnementale, selon les juges administratifs.
Six ans séparent ces deux avis et les dossiers présentés par l’exploitant présentent toujours les mêmes défauts.
Ainsi, en 2015, la MRAe observait que la présentation générale rendait « peu lisible la démarche d’évaluation environnementale ».
Sur le fond, chaque page mériterait d’être scannée.
Si je m’arrête sur l’ammoniac, la MRAe recommandait notamment de donner une estimation des retombées d’azote provenant des émissions et de la sensibilité des milieu naturels situés à proximité.
En mai 2019, le tribunal administratif considère que les réponses de Philippe Bizien sont « sommaires et insuffisantes ».
Devant les « omissions affectant l’étude d’impact », la justice annule l’arrêté d’autorisation donné par le préfet du Finistère.
C’est ce jugement qui vient d’être confirmé à Nantes.
La cour administrative d’appel enfonce même le clou concernant les retombées ammoniacales. Elle pointe la mauvaise foi de l’exploitant qui prétend que « dans cette zone, il n’existe pas de milieux naturels sensibles ».
Cette décision représente aussi (et surtout), un immense camouflet pour la direction départementale de la protection des populations (sic).
Les fonctionnaires placés sous l’autorité du préfet avaient avalé tout cru cette fable, comme l’écrivait Martine Valo dans Le Monde.
Elle donne à l’inverse raison à Eau et rivières de Bretagne, à l’AEPI et à l’Association pour la protection et la promotion de la Côte des Légendes. Philippe Bizien qui déclarait en juillet 2016 « l’argent que je perdrai, j’irai le chercher » devra leur verser 1.500 € en tout. Une paille.
Vous vous dites peut-être que si l’autorisation d’agrandissement a été « délivrée à l’issue d’une procédure irrégulière » et que l’arrêté du 1er avril 2016 est annulé, l’exploitant devrait revenir à une production de porcs antérieure, voire déconstruire ses bâtiments. Que nenni !
Dans la foulée du premier jugement, le préfet a accordé une autorisation provisoire d’exploiter en attente de régularisation, assortie de l’obligation de construire une seconde lagune pour le lisier. Ce qui implique de pomper l’eau d’une nappe phréatique.
Dans le mémoire en intervention de la ministre de la Transition écologique (!) Barbara Pompili contre le jugement du TA de Rennes de 2019, on apprend que la nouvelle demande d’autorisation environnementale de Philippe Bizien a été déposée le 30 décembre 2019.
En tout cas, la faille ouverte par la justice administrative concernant l’impact des effets cumulés des élevages intensifs sur l’environnement e ne plaît pas du tout au gouvernement. L’Etat soutient les projets d’extension.
Les associations ont réagi dès la décision d’hier. Sans exulter.
Avenir et environnement en Pais d’Iroise (AEPI) en profite pour demander des capteurs pour analyser notamment la concentration en ammoniac dans l’air de Landunvez.
L’Association pour la protection et la promotion de la Côte des Légendes (APPCL) « vit ce jugement comme le retour du bon sens ». Elle ajoute : « Ne nous leurrons pas, des dossiers aberrants autorisés ou régularisés, c’est le lot quotidien en Bretagne. »
Enfin Eau et rivières de Bretagne (E&B) voit ici « une illustration de l’impossibilité juridique d’endiguer les installations polluantes et illicites : les associations saisissent la justice, la justice condamne, l’État régularise, les installations polluantes perdurent… »
En résumé :
3 assos gagnent par 2 fois en justice ;
- l’Etat soutient l’exploitant ;
- l’exploitant est le président d’une des plus grandes coopératives porcines de France et du comité régional porcin ;
- 60 tonnes de lisier continuent d’être produites chaque jour, 100.000 depuis 5 ans.
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