[Info « Splann ! »] Plaintes pour injures, signalements de l’opposition : Crozon, ton univers impitoyable
Pierre-Yves Bulteau - 1 décembre 2025
En Bretagne, l’enseignement agricole est une affaire privée : 80 % des 15 000 élèves sont scolarisés dans des lycées catholiques ou des maisons familiales…
« Splann ! » dresse un état des lieux de l’hôpital public en Bretagne : des cartographies exclusives et un long travail d’enquête permettent d’évaluer l’étendue des…
« Splann ! » dresse un bilan inédit et détaillé de l’artificialisation des sols sur les côtes bretonnes. Notre enquête révèle comment les bétonneuses passent parfois…



Prises d’empreintes, photos de profil. « J’ai été traitée comme une vulgaire délinquante pour un post Facebook. » Quatre mois après son audition par la gendarmerie de Châteaulin, Chloé Roux ne décolère pas. « Même si la plainte pour injures a été classée sans suite, ce qui s’est passé est tout simplement délirant. »
À quelques jours du bouclage de cet article, la Crozonnaise nous rappelle. Au bout du fil, la dynamique quadra bout : « Avec cette action en justice, le maire a abîmé la douceur de ma vie ordinaire. »
Face à ce qu’elle qualifie « d’humiliation », la citoyenne décide de s’adjoindre les services d’un avocat. « Il rédige actuellement une plainte contre le maire pour dénonciation calomnieuse », annonce Chloé Roux à Splann !.
Tout est parti d’une question postée sur le compte de la mairie, à propos « des conditions catastrophiques » de fabrication des fusées d’artifice du 14 juillet : « J’aimerais bien connaître la politique d’achat en la matière de la Ville de Crozon ? »
Une publi qui en charrie d’autres . Dont un message, salé, en direction du maire qui déclenchera la riposte immédiate de Patrick Berthelot. « Aujourd’hui, appuie l’édile, tous les maires sont d’accord pour dire que l’expression est de plus en plus agressive sur les réseaux sociaux. Et qu’il ne faut plus rien laisser passer. »
« De là, à mobiliser la force publique pour une simple question ? », répète en boucle Chloé Roux qui raconte à Splann ! « ce sentiment de vivre en territoire hostile » à Crozon.
Cette histoire fait écho à celle vécue cet été par Aurélie du Boys.
Fin juin, alors qu’elle tracte avec un petit groupe contre la loi Duplomb, « un agent municipal nous demande si nous avons une autorisation d’occupation de l’espace public. Ce qui, selon la citoyenne, n’est pas utile pour ce type d’action ».
En plein marché, le ton monte. Jusqu’à voir la réalisatrice de films documentaires s’emporter contre « cette mairie de fachos ». Des propos qui ont déclenché une plainte du maire, elle aussi, classée sans suite.
« J’ai clairement manqué de diplomatie, reconnaît-elle. Mais ma réaction ne vient pas de nulle part. »
Quelques jours auparavant, lors d’un conseil municipal houleux, des élus d’opposition avaient reproché à la majorité son refus de leur mettre des salles à disposition pour se réunir.
« Si je me suis un peu enflammée, dit encore la cinéaste, c’est qu’à Crozon, on cherche à verrouiller le débat, à disqualifier les voix critiques, à amalgamer celles et ceux qui posent des questions. »
Sur la presqu’île, cet « amalgame » porte même un nom : Gaëlle Vigouroux. « L’emmerdeuse du coin », comme elle se qualifie, et auprès de laquelle Chloé Roux et Aurélie du Boys ont milité, lors des élections municipales de 2020.
« À travers ces plaintes, c’est moi que le maire cherche à atteindre », pointe l’élue d’opposition. Ce que Patrick Berthelot réfute, en bloc. « Je ne connais pas les noms que vous citez, répond le premier magistrat à Splann !. Je suis le maire et, par définition, je sers tous les citoyens. »
Une mission d’intérêt général qui soulève quelques doutes chez certains élus de gauche, comme de centre-droit.

Les premières tensions émergent le 8 juillet 2021. Quand la commune se porte acquéreur de 1.969 m², situés en plein centre-ville. « Le maire justifie cette préemption par son caractère social », rappelle Gaëlle Vigouroux qui insiste : « L’enjeu du logement et de la mixité est particulièrement fort à Crozon. »
Un territoire où il est par exemple très compliqué pour les actifs et les saisonniers de se loger, à l’année. La faute à des logements vacants, peu accessibles ou destinés à des investisseurs immobiliers.
C’est donc avec un certain étonnement que les représentants des trois listes minoritaires voient arriver le groupe Amenatys et sa résidence Cap Presqu’île, dans le projet. Vingt-neuf appartements de standing, dont le prix moyen s’élève à 220.000 euros, d’après la grille des prix que Splann ! a pu consulter.
L’étonnement devient doute, le 13 septembre 2022. Jour où la mairie délivre « une promesse d’achat qui n’a donné lieu à aucune délibération en conseil municipal, ni à la communication de l’acte aux conseillers municipaux, malgré nos demandes explicites », retrace la cheffe de file de la gauche écologiste crozonnaise.
Rebelote, en 2023, quand la Ville achète une maison adjacente aux parcelles déjà acquises. Une acquisition qui, selon le procès-verbal du conseil municipal du 16 février, « permettra une implantation optimale du projet Amenatys pour la réalisation de logements à l’année ».
Loin du « caractère social promis », c’est aussi « le jalonnement des décisions [qui] pose question », finit par écrire au préfet du Finistère le groupe Un nouvel élan pour Crozon, issu des rangs de l’ancien maire divers droite, Daniel Moysan.
Dans ce courrier, que Splann ! a pu lire, on découvre ce qui va rapidement devenir une autre source de tension municipale : « L’éventuel intérêt personnel de quelques élus de la majorité dans ce projet immobilier. »
« Une fois la résidence Cap Presqu’île sécurisée, éclaire Gaëlle Vigouroux, Amenatys a confié la vente de ses logements à Barraine Immo . Ce qui interroge, quand on sait que, sur Crozon, l’une des conseillères de cette agence n’est autre que Nadine Tréguer-Brun, la femme de Philippe Brun, adjoint aux travaux de la Ville. »
Or, reprend Un nouvel élan pour Crozon, dans sa missive au représentant de l’État, « nous observons qu’aucun conseiller municipal ne s’est retiré lors des différentes délibérations portant sur le projet Amenatys ».
Une alerte, depuis, restée « lettre-morte », selon Jean-Luc Guennegues. « Je reste dans l’expectative face à cette non-réponse, dit à Splann ! l’élu d’opposition, alors même qu’une autorité administrative a normalement obligation de répondre aux citoyens qui la sollicitent. »
Contactée, la préfecture du Finistère nous a répondu avoir « transmis à la sous-préfecture de Châteaulin, pour suite à donner ». Depuis, c’est silence radio.
Relancé sur ce possible mélange des genres, Patrick Berthelot dégaine, assis derrière son large bureau : « Cette instrumentalisation politique n’a qu’un but, tuer l’excellent travail réalisé par mon équipe. »
Un bureau où trône, en bonne place, un agenda aux couleurs vert et blanc… d’Amenatys.
Également interrogé, le promoteur immobilier n’a pas répondu à nos questions.

Derrière cette absence supposée de déport des élus concernés, Gaëlle Vigouroux pense déceler une « prise illégale d’intérêt ». Au point de déclencher, le 28 octobre 2024, l’article 40 du code de procédure pénale.
Son alinéa 2 précise que « tout officier public ou fonctionnaire qui acquiert la connaissance d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République ».
Dans son dossier, celle qui reconduit une liste en mars prochain face à un maire qui ne se représente pas dit « avoir été informée par deux sources (qui souhaitent rester anonymes) que le maire et une de ses adjointes s’étaient portés acquéreurs des appartements situés au dernier étage du bâtiment B de la résidence ».
Nous avons retrouvé l’une de ces sources. « Dès septembre 2023, témoigne Camille*, je me positionne sur l’achat d’un appartement. Au moment de la pré-commercialisation, je m’aperçois que les prix de vente concernant le rooftop sont grisés. »
Pourtant parmi les premiers clients à se positionner, Camille se demande alors « pourquoi ces logements sont déjà réservés ».
C’est l’artisan, chargé d’équiper son bien, qui lui donnera une partie de la clé. « En discutant, il me dit que le maire et son cousin ont acheté au-dessus. »
Des allégations que Splann ! n’a pu vérifier. Et qui font, une nouvelle fois, bondir Patrick Berthelot : « C’est une plaisanterie générale, votre affaire. Mme Vigouroux lance des rumeurs et déclenche un article 40, basé sur des faux. »
D’après nos informations, une série d’auditions a pourtant bien été menée par la gendarmerie de Châteaulin. Dont celle du maire et de son opposante. Avec envoi des PV au procureur adjoint de Quimper.
Sollicité, le parquet a fini par nous répondre que « l’enquête se poursuit » et qu’il « n’envisage pas de communiquer davantage d’éléments à ce stade ».
* prénom d’emprunt
Écrivez-nous à contact [@] splann.org et nous vous expliquerons comment nous transmettre des documents de façon sécurisée.