Splann ! : Depuis plusieurs mois l’OFB et ses agents sont la cible de diverses attaques ou menaces de la part d’agriculteurs, pour la plupart adhérents de la Coordination Rurale, de la FNSEA ou des JA. De quel genre d’actes d’intimidation s’agit-il ?
Sylvain Michel : Depuis le 1er octobre 2024, la direction générale de l’OFB a recensé 37 cas d’agression et de dégradation sur les bâtiments ou les véhicules. D’autres services de l’État ou établissements publics ont aussi été visés. Il s’agit en général d’aspersion de lisier, de dépôt de fumier ou de déchets verts devant les portes, de portails soudés, de portes murées ou enfoncées. A Guéret (Creuse) il y a même eu intrusion avec effraction dans les locaux, éparpillement de dossiers et propos véhéments à l’encontre du personnel. On relève beaucoup d’agressions verbales, ou des tags qui parfois ciblent nommément des agents. Et puis un chef de service du Tarn-et-Garonne a eu une roue de sa voiture déboulonnée suite à une réunion en chambre d’agriculture. Heureusement, il s’en est aperçu. Cela a été fermement condamné en haut lieu mais il n’y a pas de suites judiciaires pour le moment, malgré les plaintes.
Donc, on observe une amplification de la violence par rapport à la première vague de manifestations en début d’année 2024. Comme ils ont vu qu’il n’y avait pas eu de sanctions, ils se lâchent et vont encore plus loin. On est surpris du caractère complètement décomplexé de ces actes. Et en général, les forces de l’ordre observent passivement ces événements, avec la consigne de ne pas intervenir tant qu’il n’y a que des dégâts matériels. Jusqu’ici, il n’y a eu que quelques amendes, et le 11 décembre, la mise en garde à vue de quatre manifestants de la Coordination Rurale, à Guéret, dont le secrétaire général de la CR 23. Mais, vu comment la situation est tendue, il y aura sans doute des pressions politiques pour que ces personnes ne soient pas trop inquiétées. Malgré tout, c’est un premier signe pour dire que ces manifestants ne sont pas totalement au-dessus de la loi.
On a vu que le sud, le centre et le nord de la France sont les plus touchés, qu’en est-il en Bretagne ?
En Bretagne, c’est plus calme. Les relations sont plus apaisées avec ces syndicats agricoles. Je pense qu’on les inquiète moins. Peut-être qu’ici l’OFB est déjà assez soumis à ces lobbies. Ils savent que nos contrôles, en général, ne débouchent pas sur des sanctions pénales. Il y a eu quelques condamnations suite à des pollutions, mais ça reste des exceptions. Les infractions sont le plus souvent résolues à l’amiable, sous forme de procédure administrative et non par des sanctions pénales qui seraient pourtant méritées dans certains cas.
Début 2024, vous aviez reçu l’ordre de rester au bureau, de ne plus vous rendre dans les exploitations. Est-ce que c’est le cas à nouveau aujourd’hui ?
Aujourd’hui, on n’en est pas tout à fait là, mais on a quand même des consignes depuis la semaine dernière pour reporter tous les contrôles administratifs jusqu’à ce que la situation soit plus calme. On peut supposer que ça va durer jusqu’aux élections des chambres d’agriculture fin janvier. Car évidemment ce contexte électoral favorise une surenchère dans la violence des actions entre les deux syndicats FNSEA et Coordination Rurale. La Confédération Paysanne, quant à elle, ne nous remet pas en cause car elle défend une agriculture paysanne respectueuse de la biodiversité.
Est-ce que vous êtes soutenus par votre hiérarchie et par votre tutelle ?
On reçoit beaucoup de messages de notre hiérarchie qui nous dit, « ne vous inquiétez pas, on maîtrise la situation, on est en relation directe avec le ministère ». Mais le soutien du gouvernement a mis beaucoup de temps à venir. Le message de l’ex-ministre de la transition écologique est arrivé début décembre, deux mois après les premières dégradations de locaux, et rien de la part de la ministre de l’agriculture, hormis un tweet et un courrier au chef de service dont la roue a été déboulonnée. Mais sinon, pour toutes les dégradations, intimidations et menaces envers les agents de l’OFB, rien. Et d’ailleurs, toutes les annonces qui ont été faites vont dans le sens de ceux qui ont outrepassé les limites autorisées au cours de leurs manifestations, en dégradant des bâtiments publics, en s’en prenant à des représentants de la police de l’environnement.
Des annonces en ce qui concerne le port d’arme ?
Nous avons en effet reçu une circulaire début décembre, nous demandant de porter discrètement nos armes de service quand nous nous rendons sur les exploitations, au risque de manquer de réactivité si on doit se défendre. Cela pose donc des problèmes de sécurité. En été, quand nous sommes habillés légers, cela sera, en plus, complètement impossible. On ne sert pas souvent de nos armes, mais les agressions à l’encontre des agents existent, des coups de fusil, ou des agents qui se sont fait charger par un tracteur. Si on n’a pas l’équipement qui dissuade les comportements agressifs, ça pourrait devenir plus fréquent, hélas. On nous demande aussi de nous astreindre à un contrôle administratif annuel unique, et on nous annonce qu’on va expérimenter la caméra-piéton à partir de l’année prochaine. Une contrainte supplémentaire qui va entraver nos mouvements et alourdir nos interventions.
Cette circulaire a été signée juste avant la démission du gouvernement Barnier, par les deux ministres de l’agriculture et de l’environnement, ce qui montre l’efficacité du lobby agricole qui a réussi à obtenir cela juste à temps. En fait, ils ont l’oreille de nombreux députés et sénateurs qui reprennent leurs revendications. Ils ont ainsi obtenu « le droit à l’erreur » et nous ferons donc des contrôles pédagogiques la première année. C’est-à-dire que, quelle que soit la gravité des dégradations, elles ne seront pas verbalisées. Il faudra aussi prendre en compte « la bonne foi » de l’agriculteur, ce que les inspecteurs font déjà quand c’est le cas. Il n’y a pas de réelle nouveauté mais on veut généraliser les traitements administratifs des infractions, même graves, à la réglementation qui vise à protéger la nature, la biodiversité, la santé des habitants, la qualité de l’eau, de l’air et des aliments. Cela ne concerne pas juste les arbres et les petits oiseaux mais tout un écosystème dont l’agriculture dépend.
La Coordination rurale demande carrément la dissolution de l’OFB. Que reprochent-ils donc à la police de l’environnement ?
Sylvain Michel : Ils refusent les contrôles, les réglementations environnementales, pour défendre leur liberté d’entreprendre et d’exploiter comme bon leur semble. Il y a deux axes d’attaque qui sont utilisés actuellement par ces lobbies agro-industriels. D’un côté, réduire les normes en les alignant par le bas avec les normes européennes. Et de l’autre, faire moins de contrôles, c’est-à-dire que même les réglementations qui resteront, elles seront très rarement contrôlées. On ne vérifiera plus leur bonne application, donc ce sera carte blanche aux agriculteurs qui pourront faire n’importe quoi. Alors bien sûr, on est convaincus qu’une majorité d’agriculteurs sont consciencieux et conscients des enjeux environnementaux, qu’ils veulent faire bien leur travail, dans le respect de l’environnement et de leurs voisins, mais il reste des agriculteurs qui visent le rendement maximal et qui sont prêts à utiliser n’importe quels produits pour pouvoir augmenter leurs profits.
Et quel est l’état d’esprit des agents de l’OFB face à toutes ces formes d’intimidation et au recadrage de leurs missions ?
Les syndicats ont reçu beaucoup de messages d’agents qui expriment soit de la colère, soit du désarroi, soit de l’incompréhension par rapport à ces agressions qui restent impunies, et par rapport aux annonces gouvernementales. On leur demande même parfois d’organiser des réunions avec des personnes qui les ont agressés. Cela ajoute à l’humiliation ressentie. On remet en cause la légitimité de leurs missions, donc ils ont l’impression d’être lâchés. L’intersyndicale essaie de les remobiliser en organisant une concertation au sujet des actions que nous pourrions, nous aussi, mener pour nous faire entendre et ne pas céder totalement au lobby agricole.
Qu’auriez-vous à dire aux agriculteurs ?
Ce qu’on veut rappeler, c’est que l’agriculture ne peut pas être durable sans un environnement sain, sans des écosystèmes variés qui fonctionnent, sans les pollinisateurs bien entendu, mais aussi sans la diversité de la flore, des insectes, et du reste de la faune, des animaux qui régulent les insectes justement. L’agriculture française ne pourra pas perdurer si on continue de ne pas se soucier des écosystèmes. Beaucoup d’agriculteurs en sont conscients, mais il faut vraiment que ceux qui ont cette conscience se fassent entendre et prennent le pas sur les syndicats productivistes qui visent juste le profit à court terme.