Enquêter sur l’agriculture malgré l’adversité, avec Julie Lallouët-Geffroy et Nolwenn Weiler
Peu après la publication de notre dossier sur la destruction du bocage, les journalistes Julie Lallouët-Geffroy et Nolwenn Weiler ont participé à un épisode de L’Abécédaire de la Bretagne, un podcast produit par l’association Bretagne culture diversité. Celui-ci a été mis en ligne le 15 mai 2024.
Pour la lettre « E » comme enquête, Arnaud Wassmer a choisi de se pencher sur le fonctionnement de « Splann ! », média régional à but non lucratif fondé en 2020, qui cultive un intérêt marqué pour les questions agricoles.
« C’est parti d’un mouvement de défense de collègues qui ont été menacées dans l’exercice de leur travail, expose Julie Lallouët-Geffroy. Nous avons créé un collectif pour ne pas laisser des journalistes isolés. Et puis on s’est dit qu’on pouvait aussi produire et contre-attaquer en créant l’espace qu’on ne trouvait pas dans nos médias respectifs. »
« Splann ! » se distingue dans le paysage médiatique en donnant du temps à ses journalistes. « On n’est pas coincés dans une périodicité où toutes les semaines, tous les mois, il faut produire une enquête sur un sujet précis. Quand on est prêts, c’est là qu’on publie », souligne celle qui a travaillé pendant plus de six mois sur la méthanisation et tout autant sur l’accès au foncier.
Chaque grand dossier est confié à un binôme de journalistes. C’est ainsi que Nolwenn Weiler a rejoint Yann Malo-Kerbrat pour comprendre les raisons du recul des haies bocagères dans la région, fin 2023. « C’est une particularité de “Splann !” tout comme le fait de pouvoir développer une enquête en quatre ou cinq volets. »
Se sentir plus forts ensemble
L’union fait la force et permet de se sentir capable d’aller au rapport de force. Enquêter, lever le voile sur des pratiques immorales voire illicites, soulève son lot d’ennuis. Et d’ennemis. Inès Léraud, poursuivie en diffamation à trois reprises pour ses articles — et jamais condamnée —, ou Morgan Large, victime d’au moins deux déboulonnages de roue de voiture à son domicile, peuvent en témoigner.
« Je pense que les modes d’action de l’agro-industrie n’ont pas fondamentalement changé, observe Nolwenn Weiler, qui laboure ce terrain pour “Basta!” depuis de longues années. En revanche, s’attaquer à des journalistes, c’est comme franchir un cap. S’en prendre à des témoins aussi extérieurs au milieu, ça signe un niveau de violence inacceptable. »
Une façon plus subtile d’entraver le travail des journalistes — et donc de se soustraire au droit de savoir des citoyens — consister à refuser de s’exprimer.
Si des élus ainsi que les chambres d’agriculture ont répondu à « Splann ! » sur le bocage, ni les services de l’État interrogés, ni le ministère de l’Agriculture, ni la FNSEA n’ont daigné en faire de même. « C’est une information en soi et nous le spécifions dans nos articles », pointe Nolwenn Weiler.
Les deux pieds dans son territoire
Dans un contexte d’effondrement de la biodiversité, de dérèglement climatique et de déséquilibre des milieux naturels d’origine anthropique, les motifs de satisfaction sont rares.
Nolwenn Weiler se félicite néanmoins qu’un nombre de plus en plus important de lecteurs manifeste de l’intérêt pour les questions agricoles. Forçant les médias « mainstream » à produire des enquêtes. Elle a d’ailleurs pu mesurer la popularité de « Splann ! » lors d’une rencontre publique organisée dans le Trégor. « On n’a pas si souvent l’occasion de constater que des lecteurs sont attachés à un média. »
« Être en proximité immédiate avec son terrain d’enquête, c’est l’une des grandes plus-values de “Splann !”, explique-t-elle. L’avantage qu’on a nous, c’est qu’on habite ici et qu’on peut aller voir les gens une fois, deux fois, trois fois, dix fois, quinze fois… Au fur et à mesure, la confiance grandit et on peut rencontrer d’autres contacts par ce biais-là. C’est d’autant plus important qu’on est dans une société où les liens avec l’agriculture sont très éloignés. »
Julie Lallouët-Geffroy constate d’ailleurs qu’un nombre grandissant d’interlocuteurs sont prêts à échanger. Signe que le média s’installe et gagne ses galons en matière de sérieux et de crédibilité.