Bases nucléaires de Brest et de l’Île Longue : un périmètre étendu pour la distribution de pastilles d’iode
La Rédaction - 28 février 2025
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En Bretagne, on n’a plus de centrale nucléaire en fonctionnement — la centrale de Brennilis (29) a été arrêtée en 1985 et est toujours en cours de démantèlement — mais on a du nucléaire militaire. Et comme cela se passe régulièrement autour des sites nucléaires civils, une distribution de pastilles d’iode est en cours, depuis fin janvier, dans le périmètre des deux bases navales du Finistère comportant des installations nucléaires, Brest et l’Île Longue, la base des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) français.
Lors d’un accident nucléaire, de l’iode radioactif peut être libéré dans l’atmosphère. Les habitants exposés risquent donc d’en inhaler ou de consommer des aliments contaminés. Cet iode va alors être stocké dans la thyroïde, une glande située à l’avant du cou qui fabrique des hormones essentielles au fonctionnement de l’organisme. Or, un risque important de cancer de la thyroïde existe en cas de fixation d’iode radioactif dans la glande. Les autorités peuvent donc, en cas d’accident, recommander la prise de pastilles d’iode stable, c’est-à-dire non radioactif, pour protéger la thyroïde de l’irradiation en la saturant.
Les plans particuliers d’intervention (PPI) de Brest et de l’Île Longue ont été mis à jour fin novembre 2024, et prévoient un élargissement du périmètre de sécurité autour de ces sites militaires, passant de 2 à 5 km. « Cette extension fait suite à un renforcement de la réglementation en matière de sécurité nucléaire mais n’est pas liée à une augmentation du niveau de danger », précise le communiqué de la préfecture. Laquelle ajoute qu’il s’agit désormais « d’englober l’ensemble du territoire des communes se trouvant dans le périmètre des 5 km afin d’optimiser la réactivité des pouvoirs publics et de mieux sensibiliser la population à réagir en cas d’alerte ».
Et la préfecture de reconnaître que « même si les installations nucléaires sont sûres et exploitées avec une grande rigueur, les pouvoirs publics doivent néanmoins anticiper une éventualité de rejet radioactif dans l’environnement ». Il n’y aurait donc pas, si l’on en croit les autorités, un accroissement du danger, mais une meilleure prise en compte des risques.
Neuf communes finistériennes sont concernées par les nouveaux périmètres :
Le ministère des Armées organise donc, depuis le 20 janvier, cette campagne de mise à disposition préventive d’iodure de potassium stable pour l’ensemble de la population résidant ou travaillant dans ces communes. C’est le préfet qui, « en cas d’accident nucléaire majeur », peut demander d’avaler ces comprimés. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de prendre l’iode stable « le plus précocement possible et si possible deux heures en amont de l’émission radioactive », rappelle le Haut Conseil de la santé publique dans un avis rendu en 2021 (pdf). Une grande réactivité sera donc nécessaire de la part des autorités.
Pour le moment, et pour en disposer rapidement en cas de nécessité, « les particuliers peuvent s’en procurer, sans justificatif de domicile ni bon de retrait, dans la pharmacie partenaire la plus proche de chez eux ». D’autres modalités de distribution sont prévues pour les employeurs publics, privés et pour les établissements recevant du public (ERP) ainsi que pour les établissements scolaires, universités, centres de formation…
Mais quid des touristes ? Question sensible car la communauté de communes de la Presqu’île de Crozon-Aulne Maritime — qui comprend dix communes et dont la population est de 22.600 habitants — comptabilise près de 950.000 nuitées de visiteurs par an. Si l’on excepte les visiteurs de passage à la journée, les touristes devraient être approvisionnés par leurs hébergeurs, qui font théoriquement partie des ERP, et sont donc censés avoir des pastilles en nombre suffisant grâce un bon de retrait spécial.
Les hôteliers de Crozon que nous avons appelés semblaient apprendre la nouvelle.st-ce à eux de prévoir les comprimés d’iode pour leurs clients ou ceux-ci devront-ils passer à la pharmacie en arrivant sur leur lieu de villégiature ? « Cela ne concerne pas les touristes, seulement les habitants », assurent plusieurs d’entre eux. Une hôtelière ajoute : « Je ne sais pas de quoi vous parlez. Je vous garantis que depuis que j’habite à Crozon, je n’ai jamais eu à en prendre de ces pastilles… » Un pharmacien confirme : « Non, nous n’en aurons pas pour les vacanciers, et il faudra prioriser les enfants et les jeunes. S’il y a psychose, la meilleure prévention c’est l’éloignement. »
D’ailleurs, une hôtelière conseille aux touristes qui seraient inquiets « d’aller plutôt à Telgruc. C’est juste à côté de Crozon mais ce n’est pas dans le périmètre ». Telgruc-sur-Mer qui se situe au sud de la presqu’île, à une quinzaine de kilomètres de l’Île Longue, et fait partie de la communauté de communes, n’est en effet pas concernée par la distribution de pastilles d’iode.
Le périmètre de distribution de pastilles et plus largement de prévention des risques a généré plusieurs polémiques entre les autorités et les associations environnementales par le passé. Michel Marzin, ancien technicien du nucléaire à la centrale de Brennilis, devenu lanceur d’alerte, a longtemps fait partie de la commission locale d’information de Brest et de l’Île Longue, avant de la quitter « car il était impossible d’avoir des réponses claires à nos questions ». Il se souvient que pour la première distribution de pastilles en 2013 « le périmètre était limité à 500 m, évitant ainsi les zones habitées de la Presqu’île de crainte d’affoler la population et d’avoir un impact sur le prix de l’immobilier ». Ce périmètre est donc désormais dix fois plus grand, tout en restant bien inférieur à celui des sites nucléaires civils.
Rappelons que pour les centrales nucléaires, et pour tenir compte de l’accident de Fukushima de 2011, le périmètre de distribution est passé en 2019 de 10 à 20 km. Les écologistes militent depuis longtemps pour un périmètre de 100 km, tenant compte des vents dominants, comme c’est le cas en Belgique où tous les habitants reçoivent les pastilles d’iode depuis 2016. Un rayon de 100 km décrirait en Bretagne un périmètre allant jusqu’à Perros-Guirec (22) au nord et Guidel (56) au sud, en passant par Gouarec (22), soit presque toute la Basse-Bretagne.
En 1986, c’est la Haute-Bretagne qui avait été la limite ouest atteinte par le nuage radioactif de Tchernobyl (Ukraine) selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Quant aux dégâts produits par une explosion nucléaire en cas d’attaque sur la base des sous-marins de l’Île Longue, ils seraient bien plus importants que la contamination à l’iode radioactif que les pastilles sont censées prévenir.