Défendre l’idée de nature sauvage et de laisser-faire : le chemin a été long avant que des gestionnaires, des associations environnementales et des chercheurs considèrent qu’il n’est pas forcément nécessaire de « gérer » la nature.
C’est le principe du « rewilding » (lire cet article du Monde, payant), ou réensauvagement. Un courant apparu aux États-Unis dans les années 1990 qui commence à se faire une place en France. Et même en Bretagne. L’Association de protection des animaux sauvages (Aspas) et Wild Bretagne y ont acquis des terres pour y laisser la nature évoluer librement, sans intervention humaine.
La chasse et la pêche y sont interdites, les arbres ne sont pas coupés ou élagués et le bois mort n’est pas retiré. On « laisse la diversité s’installer spontanément », défend la Coordination libre évolution. Seuls les chemins de randonnée sont entretenus.
Aujourd’hui, l’Aspas, association créée en 1980 et principalement présente dans la Drôme, possède 13 ha en bordure du Léguer, sur la commune de Ploubezre (22). Non loin de là, Wild Bretagne, petite association bretonne créée en 2020, a acquis 18 000 m² de parcelles à Plouëc-du-Trieux (22). « Nous voulions agir, rendre possible un autre futur en donnant de la place au sauvage en Bretagne », s’enthousiasme l’un de ses co-fondateurs, Alexandre Patureau.
Ces espaces permettent aux animaux de retrouver une certaine tranquillité et à une nouvelle faune de s’épanouir. Par exemple, le bois mort abrite 50 % de la biodiversité en forêt et les arbres peuvent exprimer leur plein potentiel après avoir dépassé la centaine d’années.
« Nous avons très peu de forêts en Bretagne et elles sont toutes très anthropisées », constate l’écologue Loïs Morel, enseignant-chercheur à l’Institut Agro Rennes-Angers. Une observation confirmée par la cartographie du gradient de naturalité réalisée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (voir ci-dessus).
Loïs Morel appelle à décaler ce gradient de nos paysages, en accompagnant et en protégeant ce « retour du sauvage », notamment les parcelles en déprise agricole, où de jeunes forêts se sont développées.
« Ce retour du sauvage permet à certains milieux et à certains animaux de revenir », remarque-t-il. La réapparition du castor, de la loutre ou même du loup ont surpris les naturalistes : la nature a su se saisir des espaces abandonnés par l’homme (Raviver les braises du vivant, Baptiste Morizot, pdf).
Wild Bretagne vient de lancer un financement participatif pour acquérir une forêt de 80 000 m² en Bretagne. Avec un objectif : que ces espaces soient appropriés et acceptés par les riverains. « À Plouëc, notre initiative a été reçue de manière contrastée, admet Alexandre Patureau. Quand on a réussi à se rencontrer, on a réalisé qu’il y avait beaucoup d’incompréhension. »
Le retour du sauvage reste une source d’inquiétude : ces réserves ne vont-elles pas participer à la prolifération de sangliers ou au retour de superprédateurs comme le loup ?
Par ailleurs, certains chercheurs ou associations, comme la sociologue Benedikte Zitouni ou le collectif Reprise de terre, reprochent le « colonialisme » et « l’accaparement des terres » que représente l’achat de parcelles sans inclure les habitants et leurs usages dans ce projet.
La Confédération paysanne critique le manque de place accordée à l’activité agricole et en particulier au pastoralisme. « L’agriculture paysanne cherche l’équilibre des territoires dans la complémentarité avec les autres activités plutôt que dans leur cloisonnement », détaille le syndicat minoritaire classé à gauche.
Pour Loïs Morel, l’objectif n’est surtout pas de distinguer des territoires réservés à la nature et d’autres à l’homme, mais bien de rester dans une vision intégratrice. « Ce n’est pas un modèle enviable d’avoir des plaines avec de l’agriculture intensive et des fonds de vallée en friche. »
Le développement d’espaces de vie sauvage, aussi positif soit-il, ne doit pas empêcher de « redéployer une agriculture plus perméable au vivant », prévient l’écologue. S’il encourage la protection des friches existantes comme des zones de naturalité, il défend aussi l’approche de l’association Paysans de nature. Ce réseau initié par la Ligue de protection des oiseaux (LPO), essentiellement déployé dans les Pays de la Loire et en Bretagne, cherche à concilier la conservation des espèces sauvages et l’installation d’agriculteurs conscients des enjeux écologiques.