Connue pour sa marque de lait breton Laitik, la société d’intérêt collectif agricole (Sica) Lait’sprit d’éthique a été condamnée par le tribunal de commerce de Saint-Brieuc, le 7 octobre 2024, à payer près de 300.000 € à onze éleveurs.
Anciens associés de la Sica, ces laitiers claquent la porte entre 2022 et 2023 suite à des désaccords avec la direction. Ils dénoncent une gestion opaque et des irrégularités comptables qui mettraient en péril l’entreprise. Après avoir interpellé le conseil d’administration, puis le tribunal de commerce de Saint-Brieuc, ils décident de quitter définitivement l’aventure.
Mais, au moment de leur départ, les éleveurs ne récupèrent pas leur capital social associé, c’est-à-dire, l’argent qu’ils ont investi dans la société. « La société Sica Lait’sprit d’éthique a reçu à de multiples reprises et de longue date des demandes de remboursement de compte courant. Elle s’est toujours refusée à honorer ses obligations pour des raisons discriminatoires à l’égard des demandeurs qui avaient commis le seul « forfait » d’être en désaccord avec la gouvernance de l’entreprise », détaille l’avocate des demandeurs au tribunal de commerce de Saint-Brieuc.
Dans sa défense, l’avocat de Lait’sprit d’éthique rappelle que « les demandes de remboursement représentent des montants importants, que la Sica a du mal à faire face à une situation économique dégradée qui a fragilisé sa trésorerie […] ».
Par ailleurs, la société assure que le remboursement échelonné de tous les actionnaires a été décidé en conseil d’administration, en septembre dernier. Mais rien n’y fait, la Sica est déboutée et est sommée de verser l’intégralité des sommes, ainsi que des intérêts, aux éleveurs concernés.
« On se sent spoliés, violés, volés d'une entreprise qui était la nôtre »
« C’était un projet qui avait du sens ! », s’exclame Jean-Philippe Le Gonidec, producteur de lait à la retraite, ex-administrateur et cofondateur de Laitik. Pour l’éleveur, l’histoire de cette Sica n’est pas qu’économique. En 2010, suite au rachat du fromager Entremont par Sodiaal, une grosse coopérative laitière, il fait partie de la soixantaine d’éleveurs dissidents qui décide de s’organiser en local. « On était un groupe de producteurs de lait désireux de s’affranchir des grands groupes laitiers », détaille l’éleveur.
Ainsi est né Lait’sprit d’éthique. En moins d’une dizaine d’années, les agriculteurs réussissent leur pari et ouvrent leur propre laiterie à Trémorel, dans les Côtes-d’Armor, puis la marque Laitik débarque dans les rayons des supermarchés. « Laitik est devenu un vendeur important de lait écrémé en Bretagne », assure, fier, Jean-Philippe Le Gonidec.
Pour lui, l’aventure s’arrête en 2022 lorsqu’il décide de démissionner du conseil d’administration après avoir tenté de dénoncer « les dérives de la direction de l’entreprise ». Avec d’autres administrateurs, il écrit au tribunal de commerce de Saint-Brieuc en août de cette même année : « La Sica rencontre […] des difficultés dans sa gestion quotidienne, organisationnelle avec un CA fracturé par une crise de confiance dans notre présidence. […] Ces nombreux dysfonctionnements vont à l’encontre de l’intérêt collectif des producteurs, des salariés et des actionnaires et peuvent conduire rapidement à la perte de notre entreprise. »
Entre autres, ce groupe d’anciens administrateurs de la société dénonce la gestion actuelle du cabinet de consulting Funae. Composé d’experts du monde de l’agro-industrie, dont un ancien de Lactalis, le cabinet proposait en 2022 un « accompagnement de sortie de crise » pour Laitik. Dans sa proposition, la prestation, couvrant 19 semaines, était évaluée à 57.000 euros.
Jean-Philippe Le Gonidec dénonce « un cabinet qui prend des décisions non concertées avec les éleveurs et qui cherche à nuire à l’entreprise. On se sent spoliés, violés, volés d’une entreprise qui était la nôtre. » Contactés, ni Funae ni Lait’sprit d’éthique n’ont répondu à nos questions. Concernant leurs désaccords avec la direction, les onze éleveurs « comptent bien continuer la bataille judiciaire contre l’entreprise ».