Lycées agricoles bretons : le privé creuse son sillon

Faustine Sternberg, Chloé Richard - 30 octobre 2025

251125 - Splann ! Enquête lycées accueil dossier bâtiment Crédit David Guyon

Introduction

Pendant que l’agro-industrie tisse sa toile dans les conseils d’administration des principaux lycées agricoles privés bretons, la Région leur a alloué, ces dix dernières années, 53 millions d’euros de subventions facultatives. Un choix qui fragilise l’enseignement agricole public comme la transition vers l’agroécologie.

En Bretagne, l’enseignement agricole est une affaire privée : 80 % des 15 000 élèves sont scolarisés dans des lycées catholiques ou des maisons familiales rurales. Cette spécificité historique a permis à l’agro-industrie d’y mettre le pied, si ce n’est la jambe.

Une situation en partie liée au pouvoir de la FNSEA et de l’agro-industrie. Surreprésentés dans les conseils d’administration des associations gestionnaires de ces établissements, leurs membres ont un pouvoir important dans les décisions stratégiques. Les grandes coopératives et firmes agro-industrielles s’affichent au quotidien dans les lycées et sur les réseaux sociaux, co-organisant des événements pédagogiques et signant des partenariats avec les établissements.

Dans un tel contexte, l’agroécologie et les transitions, pourtant au programme depuis 2014, semblent rester globalement sur le banc de touche. Que ce soit dans les exploitations, support pédagogique des lycées agricoles, ou dans les salles de cours, leur investissement reste en retrait et ils valorisent, de fait, le système agricole intensif.

Cette autonomie peut conduire à des situations alarmantes. L’opacité des conseils d’administration, dans lesquels aucun représentant du personnel enseignant n’est présent, laisse peu de visibilité sur les comptes de ces établissements. À The Land, un campus basé en Ille-et-Vilaine, où le directeur et le président ont tout pouvoir, les comptes ont plongés dans le rouge, sans parler de la souffrance des équipes pédagogiques.

Ce manque de transparence n’empêche pas la Région Bretagne d’abonder largement les lycées privés, participant à des dépenses d’investissement auxquelles elle n’a aucune obligation. Et ceci alors même que l’enseignement public agricole souffre d’un manque d’attractivité, d’investissement et de moyens.

Boîte noire

Dans le cadre de cette enquête menée entre mars et novembre 2025, nous nous sommes heurtées au mutisme des institutions et au non-respect du droit d’accès aux documents administratifs.

Nous avons demandé aux préfectures d’Ille-et-Vilaine, du Morbihan, des Côtes-d’Armor et du Finistère, ainsi qu’à la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Bretagne (Draaf) et au ministère de l’Agriculture d’avoir accès aux documents indiquant :

  • La composition exacte des conseils d’administration des lycées bretons privés et publics ;
  • Les soldes de taxes d’apprentissage reçues par ces établissements ;
  • Les bilans comptables des lycées et de leurs exploitations.

Mais ces institutions ne nous ont pas communiqué ces informations, censées être publiques.

Nous avons eu recours à la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), autorité chargée de veiller au respect de ce droit, et qui a statué en faveur de notre demande. Malgré nos relances, la Draaf et le ministère n’ont pas davantage répondu.

Nous avons également démarché les greffes des associations pour obtenir la liste des membres des conseils d’administration de plusieurs lycées privés (Le Nivot, dans le Finistère, et La Ville Davy dans les Côtes-d’Armor), et seule la liste des membres du conseil d’administration de The Land (lycées Saint-Exupéry) nous a été transmise. Pour le cas du Nivot, par exemple, le greffe ne disposait que d’un extrait de bilan comptable datant de 2011.

Durant toute notre enquête nous avons proposé à ces institutions des échanges oraux qui ont systématiquement été refusés ou éludés. Les réponses par mails que nous avons reçues se sont souvent avérées soit succinctes, soit incomplètes.

Le Cneap, le réseau d’établissements agricole privés sous contrat avec l’État, percevant donc de l’argent public, n’a lui non plus jamais donné suite à nos demandes d’interview ni même répondu à nos mails.

Ce manque de transparence et de dialogue des institutions publiques est particulièrement problématique et interroge les journalistes que nous sommes.

Méthodologie

Dans notre enquête nous nous sommes concentrées sur les lycées agricoles proposant des formations en production agricole et permettant d’obtenir des diplômes offrant la capacité agricole, conditionnant l’accès aux aides à l’installation.

Il existe 56 établissements agricoles en Bretagne.
Huit établissements agricoles publics, aussi appelés établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricole (Eplefpa), regroupent 13 lycées. Ces Eplefpa sont constitués d’un lycée, d’une exploitation agricole et d’un centre de formation professionnelle continue (CFPC) ou centre de formation d’apprentis (CFA).

Du côté des établissements privés, il existe 28 lycées agricoles privés, qui font partie du réseau d’établissements d’enseignement agricole privés, le Cneap. Sur ces 28 lycées, seul 13 lycées proposent des formations agricoles, quand certains ne proposent que des formations dans le secteur des services ou de la vente.
Le réseau d’enseignement privé agricole inclut aussi 23 maisons familiales rurales, qui sont des associations faisant partie du réseau des MFR.

La Bretagne administrative étant très dotée en termes d’établissements d’enseignement agricole, nous avons décidé de ne pas inclure les MFR dans notre enquête. Ce choix a aussi été opéré pour pouvoir plus aisément comparer le fonctionnement entre les lycées publics et privés.

Cependant, si vous avez des informations à nous transmettre aux sujets des MFR, n’hésitez pas nous écrire : contact [@] splann.org.

Enfin, nous avons circonscrit votre enquête aux établissements dépendant du rectorat de Rennes, car la fusion avec les données du rectorat de Nantes aurait rendu l’enquête plus complexe sans qu’elle ne soit nécessairement plus éclairante dans la mesure où la Loire Atlantique possède moins de lycées agricoles.

Pour aller plus loin

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Enquête réalisée par :
Faustine Sternberg
Chloé Richard
Accompagnement :
Splann
Nous remercions aussi :

Claire Simonin pour sa relecture juridique avisée, Atelier Lugus pour ses illustrations, Lena Catalán Marcos et Riwanon Kallag pour les traductions

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