[Info « Splann ! »] Les entorses de Didier Lucas, nouveau président du salon international de l’élevage de Rennes, aux règles environnementales
Kristen Falc'hon - 17 septembre 2025
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Comme chaque année au mois de septembre, le monde agricole a rendez-vous au Space. Ce salon réunit plusieurs dizaines de milliers de professionnels, au parc des expositions de Rennes. Il se veut une vitrine de l’agriculture moderne réunissant des acteurs économiques du monde entier.
C’est le premier en tant que président pour Didier Lucas, qui cumule cette fonction avec le mandat de président de la chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor.
Alors que ses fonctions devraient obliger l’éleveur costamoricain à faire preuve d’exemplarité, les documents consultés par Splann ! témoignent de nombreuses infractions commises sur sa propre exploitation porcine.
À la tête d’un élevage de taille moyenne de 220 truies, Didier Lucas a reçu la visite inopinée des agents de la direction départementale de la protection des populations (DDPP), en décembre 2023. Dans leur viseur ? La vérification de la conformité de la directive nitrates et la sécurité des installations.
Une visite comme il s’en déroule « 450 fois par an », selon la préfecture des Côtes-d’Armor. Et comme dans « un tiers d’entre elle », les fonctionnaires ont constaté des infractions entraînant des mises en demeure et des obligations de se mettre aux normes.
Un cas loin d’être isolé mais qui, au-delà des faits, prend une tournure symbolique très forte au regard des fonctions de l’intéressé. Des révélations qui s’inscrivent aussi dans le contexte de la loi Duplomb, promulguée, cet été, prévoyant notamment le relèvement des seuils d’ICPE pour les élevages porcins, compris entre 2.000 et 3.000 animaux équivalents. Une fourchette dans laquelle s’inscrit justement l’exploitation de Didier Lucas.
Dans leur rapport, les agents de la DDPP constatent que l’éleveur possède « une centaine de places » d’engraissement sur paille de plus que le nombre de places autorisées, soit 500 au lieu de 400. « Mon plan d’épandage n’était pas à jour mais je l’ai relevé », se défend l’éleveur auprès de Splann ! « Je voulais pouvoir faire quelques cochons en plus sur paille. Alors que j’ai le droit à 1 m² par porc, j’étais à 1,10 m² ou 1,20 m². Depuis ce contrôle, certifie Didier Lucas, j’ai régularisé mon plan d’épandage. »
Une étude des documents comptable révèle en outre un nombre trop important de porcs charcutiers abattus chaque année, avec un excédant non-autorisé de 3 %. Soit plus d’une centaine de porcs sur l’année.
Des faits pour lesquels Didier Lucas s’est, là aussi, vu notifier une lettre de suite préfectorale, avec obligation de se mettre en règle dans les huit mois. « J’ai augmenté la prolificité (terme d’élevage qui correspond au taux de fécondité d’une truie, Ndlr) de mon élevage, explique Didier Lucas. Depuis, il y a moins de mortalité et donc plus de cochons, ce qui explique cette erreur que j’assume. »
Autre point ayant entraîné une mise en demeure : la notification des changements du plan d’épandage. A ce sujet, la préfecture informe Splann ! que, depuis l’inspection, « les surfaces nouvellement acquises par l’exploitation ont bien été notifiées à l’administration et qu’aucun épandage n’a été constaté en zone conchylicole ». Mais elle fait savoir que « pour certaines parcelles, les quantités épandues sont supérieures à ce qui aurait dû l’être ».
Il faut dire que la zone est sensible. L’exploitation est située « entre mer et campagne », à Saint-Alban, commune de 2.300 habitants. À un jet de pierre de la baie la plus contaminée de Bretagne par les algues vertes. Des lieux que Didier Lucas connaît bien. Alors président de la FDSEA des Côtes-d’Armor, de 2010 à 2019, l’éleveur s’était rendu visible par des actions médiatiques, comme l’organisation d’un match de football, en 2011, sur la plage voisine de Morieux. Cela, afin d’affirmer la non-dangerosité des algues vertes puisque l’on pouvait « s’amuser en toute sécurité sur toutes les plages bretonnes ».
Dans cette zone, plus qu’ailleurs, la question de l’épandage et de l’excès d’azote est un véritable enjeu. D’autant plus que les activités conchylicoles représentent un autre poumon de l’économie locale. Bien que fortement impacté par les problèmes de qualité de l’eau, les représentants de la filière conchylicole ne souhaitent pas faire de vague. « On ne veut stigmatiser personne, explique pour sa part Gireg Berder, ostreiculteur à Carantec (29). Pour faire évoluer la qualité de l’eau et lutter contre les algues vertes, il faut aussi une volonté politique forte, nous essayons de le faire en baie de Morlaix, on aimerait que ça soit le cas ailleurs . »
Or, « l’épandage de lisier a été supérieur aux prévisions initiales », note la préfecture des Côtes-d’Armor, dans son rapport. La DDPP indique aussi avoir constaté un « dépassement de la dose totale prévisionnelle sur plusieurs parcelles de céréales (orge et blé) sans éléments de justification ».
Encore des faits qui ont valu à Didier Lucas une mise en demeure avec obligation de se mettre en conformité « dans les huit mois ». « C’est une erreur d’écriture », réagit Didier Lucas. « La répartition de l’épandage avait été mal indiqué, précise-t-il. Il manquait aussi des bandes enherbées sur une terre située en zone conchylicole. C’est une erreur de ma part. » Situées à proximité de cours d’eau, sur deux ilots, ces terres appartenaient depuis « 4 ou 5 ans » à l’éleveur.
Une succession d’erreurs qui pourrait s’apparenter à de la négligence. Comme avec la vérification de l’équipement en cas d’incendie, pourtant obligatoire dans une exploitation agricole qui compte des salariés. Ce qui n’était encore une fois pas le cas, lors de la visite de la DDPP.
Même contrôle, même verdict. Soit une mise en demeure avec obligation de se mettre en conformité dans les trois mois. Ainsi que l’obligation, pour l’exploitant, de solliciter le service d’incendie et de secours, pour faire valider son plan de lutte, notamment pour rendre accessible l’utilisation d’un étang voisin en cas d’incendie.
« Pour être tout a fait franc, je n’ai pas encore eu le temps de faire ces travaux d’aménagement », note l’éleveur qui reconnaît : « J’ai un devoir d’exemplarité, c’est vrai, mais je suis comme tous les agriculteurs avec de grosses charges de travail et parfois du manque de personnel. »
Également contactée au sujet des suites données à ces mises en demeures, la préfecture des Côtes-d’Armor a fait savoir qu’un recontrôle était prévu « d’ici fin 2025, premier créneau compatible avec les calendriers culturaux ».
Ce contrôle étant réalisé dans le cadre de la conditionnalité des aides de la Politique agricole commune (PAC), ces infractions pourraient-elles impacter les subventions perçues par le président du Space. Soit un peu plus de 20.000 euros en 2024 au titre du développement durable et de l’environnement ? C’est une possibilité.
Interrogés sur cette éventualité par Splann !, les services de l’État font en effet savoir que ces infractions sont « susceptibles de générer une réfaction sur les aides ». Le dossier est maintenant entre les mains de la direction départementale des territoires et de la mer des Côtes-d’Armor.
@Crédit photo : Yann Le Meur
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