Altho-Brets en Centre-Bretagne : le vrai coût des chips made in France
Nolwenn Weiler - 18 mars 2025
« Splann ! » dresse un bilan inédit et détaillé de l’artificialisation des sols sur les côtes bretonnes. Notre enquête révèle comment les bétonneuses passent parfois…
Trois à 4 millions d’euros : c’est le montant des économies que devraient faire les fabricants de chips grâce à un amendement ajouté à la loi de finances 2025 leur permettant d’avoir accès à un tarif réduit de gaz. L’entreprise bretonne Altho (propriété du groupe Alain Glon Holding, auquel nous avons consacré un article le 3 février), qui a insisté auprès de certains députés pour qu’ils votent cet amendement, se taillera la part du lion de cette réduction fiscale.
La raison ? C’est elle qui produit près de la moitié des chips consommées en France, sous la marque « Brets », loin devant son premier concurrent français Vico (groupe Intersnack). « Il n’était pas normal que nos fabricants de chips aient des coûts de production supérieurs à ceux de leurs concurrents étrangers », dit-on au cabinet de la députée Renaissance du Morbihan Nicole Le Peih, qui a proposé cet amendement, soutenu par 17 collègues, dont six breton·nes (Paul Molac, Jean-Michel Jacques, Mickaël Cosson, Anne Le Hénanff, Jimmy Pahun et Didier Le Gac).
En dépit de l’ancien tarif gazier, a priori handicapant, Altho n’a cessé de croître et de prospérer ces dernières années. Depuis 2020, les volumes de ventes ont augmenté de près de 50 % et le chiffre d’affaires s’élevait à 206 millions d’euros en 2023. Pour 2024, il approcherait les 300 millions. Le succès est tel qu’une seconde usine est en construction sur les communes de Noyal-Pontivy et de Saint-Gérand, à proximité de la première unité. Objectif : multiplier par deux le volume de chips produites, pour arriver en 2028 à 40.600 tonnes par an.
En février 2025, cette nouvelle usine a été désignée comme une possible cible par un collectif appelé Frites (pour Forces révolutionnaires intergalactiques et territoriales en sauce) qui a revendiqué des départs de feu dans des locaux de deux coopératives agricoles bretonnes cet hiver.
Pour soutenir « l’entreprise de l’année », qui emploie 500 personnes, l’État n’est pas le seul à mettre la main au porte-monnaie via des ristournes fiscales. Sur les 100 millions d’euros que coûtera la nouvelle usine, « Altho a reçu 600.000 € de l’Union européenne et 400.000 € de la région Bretagne », décrit son PDG Laurent Cavard. À ce million s’ajoute le soutien d’Eau du Morbihan, qui s’est engagée à financer une partie du raccordement à l’eau potable, qui s’élèvera sans doute à plusieurs milliers d’euros.
Par ailleurs, les trois SCEA dont Laurent Cavard est le gérant, rachetées progressivement par Altho et dont les sièges se trouvent autour de l’usine morbihannaise, touchent près de 40.000 euros issus de la Politique agricole commune (PAC) chaque année.
Mais ce soutien public ne fait pas l’unanimité. Ainsi, le collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest s’étonne qu’aucune conditionnalité environnementale n’ait été mentionnée dans l’amendement relatif au prix du gaz. Du côté d’Eau et rivières de Bretagne, qui a engagé plusieurs démarches auprès de la préfecture pour s’opposer au projet de la nouvelle usine, on s’inquiète de la consommation d’eau à venir.
Destinée à laver les pommes de terre, les équipements, les sols et les engins, l’eau proviendra exclusivement du réseau d’eau potable. Quand l’usine tournera à plein régime pour transformer un total de 150.000 tonnes de pommes de terre, 350.000 m³ d’eau seront nécessaires chaque année.
Eau du Morbihan s’est engagée à fournir ces mètres cubes dans une convention qu’elle a signée avec Altho, et que Splann ! a pu consulter. En période de sécheresse, l’entreprise pourrait être coupée du réseau pour trois heures par jour maximum. Et pour pallier cet effacement, une retenue de 500 m³ doit être construite sur le site.
Altho insiste sur ses process de réutilisation de l’eau et sur le fait qu’entre 2020 et 2024, elle est passée de 11 m³ par tonne de chips à moins de 8,5 m³. Mais la nouvelle usine entraînera malgré tout une augmentation globale de la consommation d’eau de 100.000 m³ par an.
En dépit de ces importants volumes, ni la commission locale de l’eau (CLE) ni le Sage-Blavet (schéma d’aménagement et de gestion de l’eau) n’ont été consultés. Ces instances sont pourtant là pour assurer une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau sur le territoire. Plusieurs de leurs membres s’en sont émus, d’autant qu’ils estiment que les chips sont un aliment « non essentiel », voire de « la malbouffe ».
Des riverains de l’usine et d’autres citoyens morbihannais ou bretons s’inquiètent aussi de la gestion des effluents et déchets, dont les volumes sont appelés à croître. « La station d’épuration de [la première unité] sera agrandie et l’eau épurée sera ensuite réintroduite en milieu naturel soit en rivière, soit en irrigation », explique Laurent Cavard à Splann !.
Une réponse qui contredit la présentation qu’Altho avait concédée à la CLE en septembre 2023, lors de laquelle il avait été dit que les nouveaux volumes épurés seraient « exclusivement » dirigés vers l’irrigation des champs attenants au site industriel.
Cette inconstance n’est pas de nature à rassurer les associations, d’autant que la rivière dans laquelle Altho rejette ses effluents, le Saint-Niel, pourrait avoir en plus à recevoir ceux de la nouvelle station de Pontivy communauté actuellement en projet. Interrogée à propos de ces diverses inquiétudes, Pontivy communauté n’a pas donné suite.
« Les boues de la station d’épuration de l’usine et les déchets de pommes de terre [seront] traités à 100 % par le méthaniseur de la société Sober (situé à côté de l’usine et également propriété de Alain Glon holding, AGH, ndlr), promet Alain Cavard. Le plan d’épandage, réparti dans un rayon moyen de 6 km autour de son site, est validé par l’administration compétente. »
Cette dernière information étonne Eau et rivières de Bretagne, qui dénonce un manque global de transparence sur ce dossier depuis plusieurs années. « En juin 2023, nous avons appris par un communiqué de presse que le méthaniseur Sober était capable de gérer 96 tonnes de déchets par jour, soit un quasi-doublement de la quantité pour laquelle AGH a obtenu une autorisation en 2017 », cite par exemple Jean-Pierre Le Lan, d’Eau et rivières de Bretagne.
Depuis, la situation semble avoir été régularisée sans que l’association soit mise au courant. « Nous n’avons pas vu le plan d’épandage », remarque Martine Auffret, membre d’Eau et rivières de Bretagne, à qui le rayon de 6 kilomètres semble bien restreint au vu de la quantité de digestat qu’il faudra épandre. Le plan déposé en 2012, alors que la quantité de chips était moitié moins importante que celle attendue en 2030, s’étendait sur 441 hectares. « Altho est-elle la seule structure à épandre dans ce rayon de six kilomètres ? Il y a aussi des agriculteurs, signale Martine Auffret. Par ailleurs, toute la surface concernée est-elle épandable en raison de la proximité des habitations ou des cours d’eau ? »
« Les nombreuses modifications (rejets dans le milieu, stockage, plan d’épandage …) liées à la nouvelle usine auraient dû susciter une demande d’autorisation et non un simple enregistrement, dit Pierre Loisel, délégué départemental d’Eau et rivières. Le Code de l’environnement l’impose dès lors qu’il y a un cumul d’incidences avec d’autres projets. » Mais cette possibilité a été balayée par la préfecture lors de la réunion de présentation du projet arrachée par la CLE en septembre 2023.
« Cette affaire n’est qu’une illustration supplémentaire de la coalition entre les industriels, l’État et certains élus locaux », soupire Marine Auffret, évoquant le souvenir de la sous-préfète qui encense Altho, « une belle entreprise, sérieuse et responsable ». De son côté, la députée Nicole le Peih vante une entreprise « talentueuse », attachée à « la recherche de l’excellence, à la fois pour la qualité des chips, et aussi pour le respect de l’environnement ».
Sur ce second point, tout le monde ne partage pas son enthousiasme, en raison de la pression que la culture des pommes de terre exerce sur les sols. « L’ennemi de la patate, surtout pour celles qui seront transformées en chips, c’est le caillou, détaille un maraîcher morbihannais installé en bio. Avant de planter, il faut passer d’énormes machines qui tamisent la terre. En termes de ruissellement, s’il pleut, ça peut être catastrophique. » Devenue très fine, la terre dévale les champs en direction des cours d’eau, où disparaît une partie de la matière organique des sols.
L’augmentation de la production de chips fait craindre une augmentation de ce problème, alors que les éleveurs sont de plus en plus nombreux à retourner leurs prairies pour y planter des pommes de terre. « En 2025, les contrats de pommes de terre de la filière Altho couvrent 4.450 hectares en France, détaille Laurent Cavard, sans préciser la quantité d’hectares bretons (il y en avait 2.110 en 2023). En moyenne, les agriculteurs en contrat avec nous cultivent entre 7 et 8 hectares de pommes de terre. » Chez la plupart d’entre eux, c’est Légumia, une ETA appartenant à Altho qui se charge de préparer le sol, planter, traiter et récolter, au moins dans l’ouest, et jusqu’en Vendée.
« Les surfaces restent raisonnables, estime un producteur historique de plants de pommes de terre du pays de Pontivy. Mais plus on augmente la proportion de cultures industrielles dans les paysages, plus on augmente les risques sanitaires. » Cela pourrait accroître la quantité de pesticides utilisés sur les pommes de terre déjà généreusement arrosées, notamment à cause du mildiou, ce champignon qui peut attaquer aussi bien les feuilles que les tubercules. Pour le contrer, d’impressionnantes doses de fongicides sont pulvérisées sur les cultures, parfois plusieurs fois par semaine et ce pendant des mois.
On a aussi les insecticides, dont certains sont épandus sur les terres avant les plantations. Entre les limaces, les doryphores, les pucerons, la teigne ou le taupin, les produits utilisés dans la culture conventionnelle de pommes de terres sont nombreux, même si Altho assure imposer « une liste de traitements plus restrictive que celle autorisée par les pouvoirs publics ».
Une fois la récolte effectuée, ce n’est pas terminé puisque les pommes de terre stockées sont aspergées ou saupoudrées d’anti-germinatif. Ceux qu’Altho utilisent sont presque tous validés en bio, assure l’entreprise. Mais cela n’a pas toujours été le cas.
Au début des années 2010, d’importantes quantités de chlorprophame avaient été retrouvées sur le site, signale un avis préfectoral de 2012 relatif à un premier agrandissement de l’usine. Cet anti-germinatif, suspecté d’être cancérogène, a été retiré du marché en octobre 2020. La pression chimique liée à la culture des pommes de terre reste élevée, en particulier à cause des divers produits de lutte contre le mildiou, que le changement climatique pourrait renforcer.
Retrouvez ici la réponse complète d’Altho aux questions de Splann !.