Les travers du porc « made in Bretagne », les coulisses de l’enquête avec Kristen Falc’hon
L’enquête sur la production porcine bretonne constitue l’un des fils rouges de « Splann ! ». Kristen Falc’hon et Inès Léraud tirent cette pelote depuis l’été 2022 afin de comprendre l’impact de cette filière sur les milieux naturels, le tissu social, et la politique locale, mais aussi de décrire les appuis dont elle bénéficie.
Abritant 56 % du cheptel national alors qu’elle ne représente que 6 % de la surface agricole utile française, la Bretagne s’érige en acteur majeur du porc. En 2021, 7,27 millions de cochons sont sortis de ses 3 950 exploitations. Nombre d’entre eux ont été abattus à la Cooperl ou chez Kermené, avant d’être transformés en tranches de jambons, saucissons et autres lardons vendus par la grande distribution.
Cette trajectoire n’avait rien d’évident. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la plupart des 200 000 fermes que comptait alors la Bretagne fonctionnaient en polyculture élevage. Les paysans y engraissaient un à dix porcs par an. Bientôt, les progrès agronomiques permirent de s’affranchir de la récolte annuelle tandis que la mécanisation libéra les écuries pour les remplacer par des porcheries.
Au tournant des années 1960-1970, d’importants financements furent alloués à la recherche génétique. Des races plus productives furent créées. Celles-ci sont capables de vivre dans des bâtiments adaptés à l’élevage intensif. À partir des années 1980, la ventilation dynamique permet d’enfermer les animaux 24 h/24 afin d’améliorer encore les rendements.
Le courant ultralibéral de l’élevage emmené par Alexis Gouvernnec, lui-même à la tête de plusieurs très grandes exploitations, l’emporta sur les défenseurs d’une régulation des marchés. Dès lors, la course à l’agrandissement fut lancée.
Si aujourd’hui, environ 14 000 emplois dépendent de la filière porcine en Bretagne, ses externalités négatives, en matière de souffrance animale, de santé publique et de pollution soulèvent une opposition croissante. Les excédents de déjections participent grandement à la pollution des eaux par les nitrates et les phosphates, de l’air par émissions gazeuses d’ammoniac ou encore des sols par des métaux lourds.
S’intéressant à la production porcine depuis son enquête sur les algues vertes, adaptée au cinéma en 2023, Inès Léraud s’est alliée à Kristen Falc’hon, journaliste et documentariste, fils d’éleveur porcin dans le Léon, afin d’étudier plus en profondeur cette industrie.
Tous deux ont d’abord enquêté, en 2022, sur l’agrandissement contesté d’Avel vor, méga-porcherie de Landunvez (29). Un travail prolongé en 2023 à Plouvorn, la commune aux 80 000 cochons, avec Floriane Louison, de Mediapart.
Leur cartographie du lobby porcin a été publiée dans La Revue dessinée, en 2023. Son adaptation sous forme d’article web a valu à « Splann ! » et à ses auteurs une plainte en diffamation de la part de Philippe Bizien, propriétaire d’Avel vor, président d’Inaporc et du groupement Evel’Up.
Cette plainte, annulée par la justice en juin 2025, a constitué la première procédure bâillon subie par notre média depuis son lancement, illustrant l’extrême sensibilité du sujet. Elle a aussi généré une vague de soutien, démontrant l’intérêt de ces travaux et leur importance pour le débat public.
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