[Info « Splann ! »] Le préfet du Finistère court après Even lait industrie pour ses pollutions récurrentes de l’Aber Wrac’h
Sylvain Ernault - 31 mai 2025
« Splann ! » dresse un bilan inédit et détaillé de l’artificialisation des sols sur les côtes bretonnes. Notre enquête révèle comment les bétonneuses passent parfois…
Une coopérative qui « maintient le cap », « renforce sa collecte et ses investissements » et « continue sa croissance ». Début avril, les résultats du premier groupe laitier de Bretagne sont présentés dans la presse sous des titres élogieux. Even (Paysan Breton, Régilait, Mamie Nova, Argel, Gamm Vert…) affiche en 2024 un chiffre d’affaires stable, à 2,7 milliards d’euros, et une collecte de lait atteignant 421 millions de litres, en hausse de 4 %. Nulle mention en revanche des rejets d’eaux usées dans l’Aber Wrac’h, qui opposent ce poids-lourd de l’agroalimentaire finistérien au service de la direction départementale de la protection des populations (DDPP).
Le siège historique d’Even, à Ploudaniel, abrite deux usines classées au plus haut échelon des installations susceptibles de créer des risques ou des nuisances pour l’environnement (ICPE). Une partie du lait pasteurisé, de l’emmental, des yaourts, des crêpes ou des produits de nutrition clinique commercialisés par sa filiale Laïta est fabriquée sur ce site.
Au fil des agrandissements, la surface totale bâtie du site de Ploudaniel dépasse, en 2015, 48.000 m². À l’occasion d’une procédure de régularisation administrative lancée l’année suivante, l’Autorité environnementale observe que le projet « implique une augmentation notable de la charge organique des eaux industrielles à traiter par la station d’épuration du site ». L’entité indépendante pointe les carences du dossier concernant l’absence d’impacts des rejets d’eaux usées sur la rivière Aber Wrac’h. La suite lui donnera hélas raison.
En 2018 puis en 2019, deux incidents entraînent une mortalité piscicole à l’aval immédiat du point de rejet de l’établissement. Le second donne lieu au dépôt d’une plainte par Eau et rivières de Bretagne. Ils motivent la signature, en août 2020, d’un arrêté préfectoral complémentaire relatif à la maîtrise des rejets aqueux de l’usine. Le préfet s’appuie également sur un contrôle inopiné réalisé par ses services, qui a pointé l’absence de mise en œuvre d’un projet de sécurisation du réseau des eaux pluviales du site.
En août 2022, quelques jours avant le déclenchement de la crise sécheresse, un dysfonctionnement temporaire de la station d’épuration provoque une nouvelle pollution de la rivière. Un rapport officiel relève que « l’évènement menace la production d’eau potable de la station de pompage d’eau en aval, desservant 90.000 habitants répartis sur 36 communes, dont le fonctionnement est réduit de moitié pendant trois jours ». L’inspection menée en septembre ne relève aucun manquement susceptible d’entraîner une suite administrative.
Un an plus tard, la surveillance des rejets industriels s’est manifestement dégradée. Environ 60 m³ d’effluents se déversent dans l’Aber Wrac’h le 3 octobre 2023. Dépêchés sur place le lendemain, les inspecteurs des installations classées constatent notamment des « insuffisances d’encadrement et de compétences du personnel chargé de gérer la station d’épuration » et « l’absence de consignes à l’attention du personnel sur l’organisation de l’exploitant en cas d’incident ou de sinistre ».
Dans leur rapport, ils relèvent qu’avant leur rejet dans le milieu naturel, les eaux usées dépassent avec récurrence les valeurs limite d’émission pour trois paramètres. Ainsi, pour les seules matières en suspension, c’est-à-dire des particules visibles à l’œil nu, 45 dépassements en concentration ont été enregistrés par l’exploitant depuis le 1er janvier. Suivant l’avis de ses agents, le préfet signe quelques semaines plus tard un arrêté de mise en demeure.
En mai 2024, l’exploitant indique avoir mis en place un dispositif de suivi en continu des rejets des « matières en suspension » et de l’ammoniac. Une affirmation mise en doute un mois plus tard, lorsque le taux d’ammoniac monte en flèche dans la rivière. Il faut lire un compte rendu de la réunion commission locale de l’eau du Sage Bas-Léon du 27 juin pour découvrir que « cette pollution a eu pour impact l’arrêt de la production d’eau du syndicat [pendant deux jours], impliquant l’achat d’eau à Eau du Ponant ».
Ce même document indique qu’une action en justice a été engagée contre Even par l’association de pêche des Abers – Côte des légendes et « que cette nouvelle pollution sera ajoutée au dossier ». Contacté le 27 mai 2025, son président, Yves Chaigneau, confirme qu’une procédure est en cours, mais ne souhaite pas communiquer à ce sujet. Un second arrêté de mise en demeure est signé le 2 août.
Cette série d’accidents est évacuée en huit lignes dans le procès-verbal du comité syndical du Syndicat des eaux du Bas-Léon du 12 novembre. On y lit que sa présidente, Marguerite Lamour, « n’a pas souhaité engager de procédure à l’encontre de ce fleuron de l’industrie finistérienne (sic) » mais qu’elle a « exigé qu’une attention sérieuse et particulière soit apportée aux rejets dus à l’activité de cette société ».
« Les présidents et directeurs du syndicat d’eau et d’Even se sont rencontrés avec le délégataire (Suez, NDLR) pour valider l’engagement d’Even sur ces mesures et sur des investissements importants pour améliorer le fonctionnement et la sécurité de leur station d’épuration », précise le successeur de Marguerite Lamour, le maire de Kernouës, Christophe Bèle.
Une explication qui ne convainc pas le représentant d’Eau et rivières de Bretagne, Jean-Yves Piriou, qui siège à la commission locale de l’eau du schéma d’aménagement et de gestion de l’eau du Bas-Léon (CLE du Sage). « Comme les élus meneurs du syndicat des eaux sont très liés au monde agro-alimentaire, ils n’osent pas attaquer celui-ci, au détriment des consommateurs et de l’environnement », nous confie-t-il.
De son côté, la société n’a pas souhaité « donner suite à notre sollicitation ». « Even collabore étroitement avec l’administration, et plus précisément avec la DDPP », transmet son agence de relations presse Rivacom (groupe Le Télégramme).
Considérant que le suivi renforcé des eaux rejets après traitement a été mis en œuvre par Even, le préfet abroge sa dernière mise en demeure en janvier 2025. Mais probablement échaudé par les promesses non tenues, il signe un nouvel arrêté en mars. L’industriel est sommé d’élaborer un plan d’actions et de continuité avant la fin 2025, de construire un nouveau clarificateur (bassin de décantation) d’ici la fin 2026 ainsi qu’un nouveau bassin tampon avant le 1er janvier 2028.
Soit dix ans et au moins quatre épisodes de pollution après la régularisation par l’État des installations industrielles d’Even à Ploudaniel.
Écrivez-nous à splann [@] riseup.net et nous vous expliquerons comment nous joindre des documents de façon sécurisée.