À Loguivy-Plougras, dans les Côtes-d’Armor, la destruction du bocage se poursuit
Nolwenn Weiler - 5 août 2025
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Un kilomètre de très vieux arbres a été rasé dans la commune de Loguivy-Plougras, au printemps 2025, en pleine période de nidification. Des randonneurs ont donné l’alerte, le 27 mars, en écrivant à la presse locale anonymement « par peur des représailles ». Appuyé par des relevés topographiques assez précis, leur courrier déplore la disparition de chênes centenaires et dénonce des coupes « en toute illégalité » à proximité de deux lieux-dits : Le Grand Launay et Pen an Allée. Des coupes qui allongent encore le linéaire des haies fantômes du Trégor documenté par Splann ! en février 2024.
Il n’est pas interdit de supprimer des talus, mais pour obtenir la permission de le faire, encore faut-il la demander… et l’obtenir ! Cela n’a pas été le cas pour l’affaire qui nous occupe.
« Des demandes de destruction de haies ont bien été formulées par les agriculteurs mais les techniciens de Lannion Trégor communauté (LTC) ont demandé à ce que les anciennes compensations (c’est-à-dire des replantations, NDLR) soient effectuées avant d’accorder de nouvelles autorisations de destructions », explique Annie Bras-Denis, élue à l’environnement au sein de LTC.
Visiblement, cette obligation de solder un premier dossier de compensation avant d’en ouvrir un deuxième n’a pas été comprise. Et les arbres ont été coupés. « Il y a eu un problème de communication entre LTC et les agriculteurs », résume prudemment le maire de la commune, Jean-François Le Gall, qui a reçu les diverses parties en mairie, vers la mi-avril.
Outre les agriculteurs et LTC, il y avait les services de l’État (avec la direction des territoires et de la mer, DDTM) et la chambre d’agriculture des côtes d’Armor. « Chacun s’est exprimé, on a essayé de trouver des solutions, évoque Jean-François Le Gall. Il a été convenu que la chambre d’agriculture allait se charger de monter le dossier de compensation pour le présenter à la DDTM. »
Quant à Lannion Trégor communauté, dont les services sont coutumiers de ce genre de dossier, elle a été écartée, et laissée sans nouvelles depuis. Tout juste sait-elle que les travaux devaient être terminés pour la fin 2025. Entre-temps, le maire de Loguivy-Plougras a validé le projet de compensation monté par la chambre d’agriculture à qui « il fait confiance ».
« Les agriculteurs ont commencé à faire le travail demandé, assure Jean-François Le Gall, même si les plantations ne seront faites que cet automne, le long de la route, mais pas seulement. Ils ont un grand parcellaire et une partie des arbres seront éparpillés à plusieurs endroits sur les terres. C’est le Gaec qui finance tout, c’est à sa charge. La commune ne participera pas, c’est une certitude. »
Les nouvelles haies implantées seront-elles inscrites au PLU en tant qu’espace boisé classé et ainsi protégées ? « Sur notre commune, qui s’étend sur plus de 5.000 hectares, seules les haies qui sont parallèles au cours d’eau sont classées pour prévenir les inondations », répond le maire sans plus de précisions. Mais Splann ! n’a pas eu accès à la cartographie du programme de replantation.
Classées ou pas, « ces replantations ne sont pas vraiment des compensations, intervient Jean-Luc Pichon d’Eau et rivières de Bretagne. Un alignement d’arbustes de 50 centimètres de hauteur ne peut pas remplacer une haie de vieux arbres et toute la biodiversité qui s’y abrite. On est sur un marché de dupes pour la faune, la flore et pour le citoyen qui doit attendre 40 ans pour retrouver le paysage perdu. » Très investie dans la préservation du bocage, l’association estime qu’il faudrait au moins doubler le linéaire détruit en nouvelles plantations.
Dans un courrier adressé à la DDTM mi-avril, Eau et rivières fait part de ses inquiétudes et de ses interrogations. « Si le linéaire est bien déclaré au titre de la politique agricole commune (PAC), [son arasement] contrevient aux règles d’éco-conditionnalité, en particulier à la BCAE 8 », précise l’association. Cette règle interdit notamment de détruire les haies « sauf situations très particulières, et sous réserve d’une autorisation de dérogation demandée préalablement à la DDTM ».
Son non-respect entraîne normalement une diminution des aides PAC, cruciales pour de nombreuses exploitations agricoles.
D’après les informations de Splann !, l’exploitation agricole concernée a touché près de 140.000 euros en 2024, dont plus de 10.000 dans le cadre du programme climat et environnement. Une source proche du dossier de Loguivy-Plougras assure qu’il y a bien eu une infraction aux règles de la BCAE 8, et que les agriculteurs vont perdre « un peu de PAC », sans apporter de précisions sur les sommes concernées. Les agents de la DDTM indiquent qu’ils n’ont « pas le droit de répondre aux journalistes » et renvoient vers le cabinet du préfet. Celui-ci explique qu’il va voir avec la DDTM si elle peut répondre à nos questions…
Finalement, après plusieurs relances téléphoniques, la préfecture nous annonce qu’elle « ne donnera pas suite » à nos demandes, sans autre précision. Du côté de la chambre d’agriculture, toutes les personnes à même de répondre sont en congés. Quant à l’Office français de la biodiversité (OFB), qui n’est pas intervenu sur ce dossier, il conseille à Splann ! de joindre… la DDTM !
« Les maires et la DDTM ne sont pas assez sévères face aux agriculteurs contrevenants, estime Jean-Luc Pichon. Quel message leur est envoyé ? Qu’ils peuvent continuer en toute impunité car il ne leur arrivera pas grand-chose s’ils ne respectent pas la loi. Comment imaginer qu’ils vont arrêter de couper des haies si on se contente de semonces aussi légères ? »
Il déplore le manque d’attention aux talus et aux haies, si nécessaires pour la disponibilité et la qualité de la ressource en eau. Le réseau Haies France, qui réunit 450 organismes agissant sur le terrain en faveur du développement de l’arbre et de la haie, alerte lui aussi sur cette urgence dans un appel à sauver le pacte haies, menacé de sévères coupes budgétaires.
« Nous aimerions que les gens comprennent que pour avoir de l’eau dans les rivières il faut des talus et des haies, dit Annie Bras-Denis. Mais nous ne sommes pas dans le registre de la sanction. Nous préférons accompagner et faire de la pédagogie. De toute façon, nous n’avons pas de pouvoir de police. Nous pensons que la médiatisation de cette affaire peut aussi provoquer une peur du gendarme indirecte. Parler des manquements des uns, c’est une façon de rappeler les règles aux autres. Je reste optimiste sur le fait que les gens finiront pas comprendre. »